Vivement critiqué par la presse britannique, le prince Andrew subissait dimanche le puissant retour de flamme d’une interview événement dans laquelle il s’exprimait pour la première fois sur l’affaire Epstein, analysée comme un pari risqué qui tourne au fiasco. L’affaire Epstein est une affaire criminelle impliquant un milliardaire américain gravitant dans la jet set et dont le réseau de prostitution est international. En 2019, Jeffrey Epstein est incarcéré dans l’attente d’un procès pour trafic de mineurs où il risque la perpétuité mais il est retrouvé pendu dans sa cellule. Deux enquêtes américaines sont alors ouvertes à la suite de ce qui est décrit comme un « suicide apparent » afin de poursuivre ses complices.
Lors d’un entretien de près d’une heure diffusé samedi soir sur la BBC, le prince Andrew, âgé de 59 ans, s’est expliqué sur ses liens avec le financier américain Jeffrey Epstein qui s’est suicidé en prison en août et a « catégoriquement » démenti les affirmations de son accusatrice.
Virginia Roberts affirme avoir été forcée d’avoir des relations sexuelles avec le prince Andrew à Londres en 2001 alors qu’elle avait 17 ans, puis à deux autres reprises à New York et sur l’île privée de Jeffrey Epstein dans les Caraïbes.
« Je peux catégoriquement, absolument vous dire que ce n’est pas arrivé », a déclaré le prince Andrew, se disant prêt à déposer devant la justice « dans de bonnes circonstances ».
L’interview à la BBC a fait la une dimanche de la plupart des journaux britanniques. Et beaucoup ironisaient sur la ligne de défense du prince, ou estimaient que son « pari » de s’expliquer à la télévision risquait fort de se retourner contre lui et la famille royale.
« Il n’avait pas l’air conscient du sérieux de l’affaire, riant et souriant à plusieurs reprises pendant l’interview (…) et n’exprimant aucun regret ou inquiétude envers les victimes d’Epstein », jugeait ainsi le quotidien The Guardian.
« Je n’ai jamais rien vu d’aussi désastreux », a réagi le consultant en relations publiques et communication de crise Mark Borkowski, pour qui cette interview peut servir d’exemple à des étudiants de « ce qu’il ne fait pas faire ». « C’était comme regarder un homme dans des sables mouvants à qui malheureusement personne n’aurait jeté de corde » pour tenter de s’en sortir.
« Trop honorable »
Le prince Andrew, 59 ans et huitième dans la ligne de succession au trône, a reconnu que ses relations avec le financier américain Jeffrey Epstein ont pu mettre la famille royale dans l’embarras, mais estime ne pas avoir nui à la réputation de la reine Elizabeth II.
Sur Twitter, Peter Hunt, ancien chroniqueur royal de la BBC, a estimé que cette interview, qui à ses yeux affecte la reine, traduisait un « malaise » au sein de la royauté. Selon lui, son frère aîné le prince Charles devrait avoir le « courage » de dire au prince Andrew de « se retirer de la vie publique ».
Selon plusieurs médias, le conseiller presse du prince, opposé à cette interview, a quitté récemment ses fonctions.
La presse raillait notamment l’alibi invoqué par le prince, qui a affirmé qu’il se trouvait dans un restaurant de la chaîne Pizza Express de Woking, une ville au sud de Londres le jour des faits décrit à Londres par son accusatrice Virginia Roberts. Un lieu inhabituel pour un membre de la famille royale britannique.
« Les chevaux suent, les hommes transpirent, mais les membres de la famille royale ne font que briller », a écrit le Sunday Times dans un éditorial, rebondissant sur l’une des explications les plus commentées du prince Andrew.
Là où Virginia Roberts le décrit comme transpirant abondamment en dansant dans un club de Londres en 2001, lui rétorque que c’était impossible. Et ce dit-il en raison d’une maladie due à une montée d’adrénaline lorsqu’il a été visé par des tirs lors de la guerre des Malouines en 1982, où il était pilote d’hélicoptère.
Le Sunday Times, qui publie une photo montrant le prince « apparemment » en train de transpirer en 2000, s’en prend au « pauvre chéri » qui s’est présenté comme un « héros de guerre ».
Le prince se voit aussi reprocher le vocabulaire qu’il a employé tout au long de son entretien, comme le fait qu’il se soit présenté comme « trop honorable », pour expliquer qu’il avait vu Epstein en 2010 après sa condamnation, dit-il pour couper les ponts. Ou encore quand il a qualifié d' »inconvenant » le comportement de son ami.
« Inconvenant!? », lui a rétorqué la journaliste qui l’interviewait, « c’est un délinquant sexuel ! »
Réseau d’influence
En septembre 2002, Epstein a transporté Bill Clinton, Kevin Spacey et Chris Tucker en Afrique dans son jet privé (un Boeing 727) pour promouvoir l’ancien président dans ses efforts de lutte contre le SIDA.
Il est également un ami de longue date du prince Andrew, deuxième fils de la reine Élisabeth II ; ils ont séjourné l’un chez l’autre et ont passé des vacances ensemble en Thaïlande. En décembre 2010, le prince était invité par Epstein pour quelques jours dans sa résidence de New York, peu après qu’Epstein avait été poursuivi pour sollicitation de prostitution d’une mineure. Son dîner au manoir a notamment accueilli Katie Couric, George Stephanopoulos, Charlie Rose, et Woody Allen. Les 4 600 m2 de ses appartements sont situés juste à côté de la Cinquième Avenue et surplombent la Frick Collection. Il a la plus grande résidence privée du quartier de Manhattan, Herbert N. Straus House (en), ancien siège de Birch Wathen School.
Epstein a d’autres propriétés immobilières, notamment une grande villa à Palm Beach, en Floride, un appartement à Paris (22, avenue Foch) ; un ranch de 4 000 hectares avec un manoir à Stanley (Nouveau-Mexique) et une maison avec des chambres d’hôtes sur son île privée près de Saint-Thomas, Little Saint James.
Il entretient de multiples connexions avec des personnalités puissantes, riches et célèbres, dont Bill Clinton (il a donné des millions de dollars à sa fondation humanitaire et financé la campagne sénatoriale de sa femme Hillary), Donald Trump (jusqu’au milieu des années 1990, lorsque Trump lui a interdit l’accès de ses golfs et a cessé tout contact avec lui) et le prince Andrew.
Reconnaissance de culpabilité et emprisonnement en 2008-2009
En mars 2005, une femme a contacté la police de Palm Beach en affirmant que sa fille de 14 ans avait été emmenée au manoir de Jeffrey Epstein par une fille plus âgée et payée 300 $ après un déshabillage (en sous-vêtements) et avoir été massée.
La police a entamé une enquête (11 mois) suivie d’une perquisition concluant qu’Epstein avait payé plusieurs « escorts » pour accomplir des actes sexuels avec lui. Sur la base des dires de cinq victimes présumées et dix-sept témoins sous serment, d’un relevé de notes et d’objets trouvés chez Epstein, les enquêteurs ont conclu que certaines des filles étaient mineures au moment des faits. Un grand nombre de photos de jeunes filles ont été trouvées partout dans la maison (dont certaines avaient été auditionnées plus tôt par la police). Selon les enquêteurs en 2006, Epstein avait caché des caméras dans de nombreux endroits de sa propriété pour enregistrer les rapports sexuels entre des personnalités et des prostituées, à des fins criminelles telles que le chantage.
Epstein avait mis en place un système pour recruter des jeunes femmes par d’autres femmes, pour ses services de massage. Deux femmes de ménage ont déclaré à la police qu’Epstein recevait des « massages » chaque jour, quand il était à Palm Beach. En mai 2006, la police de Palm Beach a finalement émis une inculpation pour plusieurs chefs d’accusation dont relations sexuelles illégales avec des mineurs et atteinte à la pudeur. À la demande de son équipe d’avocats (dont Gerald Lefcourt, Alan Dershowitz et, plus tard, Ken Starr), Epstein a subi un test au détecteur de mensonge où il a été demandé s’il connaissait le statut de mineurs des filles (bien qu’un détecteur de mensonge ne soit généralement pas recevable devant la cour d’un tribunal).
Au lieu de suivre les recommandations de la police, les procureurs ont examiné des éléments de preuve faible et l’ont présenté à un grand jury. L’ancien chef de la police de Palm Beach Michael Reiter a plus tard écrit au Procureur de l’État Barry Krischer en se plaignant de la manière « très inhabituelle » dont l’affaire était conduite et en lui demandant de se retirer de l’affaire. Le grand jury n’a retenu qu’une seule accusation criminelle (sollicitation de prostitution), pour laquelle Epstein n’a pas plaidé coupable, en août 2006.
En juin 2008, il plaide coupable pour l’accusation de sollicitation de prostitution d’une fille mineure. Epstein a commencé à purger sa peine de 18 mois d’emprisonnement dans un établissement qui l’autorisait à travailler à son bureau six jours sur sept. Il a été libéré après 13 mois et inscrit sur la liste des délinquants sexuels. Il y a une controverse sur la manière dont cette affaire a été traitée.
Après que les accusations sont devenues publiques, plusieurs personnes ou entités ayant reçu des dons de la part du milliardaire lui ont renvoyé cet argent, dont Eliot Spitzer, Bill Richardson, et le Département de la Police de Palm Beach. L’université Harvard a annoncé qu’elle ne lui retournerait pas l’argent. Plusieurs dons de bienfaisance faits par Epstein au financement de l’éducation des enfants ont également été remis en question.
Le 18 juin 2010, l’ancien majordome d’Epstein, Alfredo Rodriguez, a été condamné à 18 mois de prison pour avoir tenté de vendre un enregistrement d’Epstein. L’agent spécial Christina Pryor a examiné l’enregistrement et a convenu qu’il « aurait été extrêmement utile dans les enquêtes et la poursuite des cas, y compris pour les noms et les coordonnées de témoins et pour la détection de victimes supplémentaires ».
Nouvelles accusations de 2015-2016
En janvier 2015, une Américaine de 31 ans, V. Roberts, a affirmé (sous serment) qu’à l’âge de 17 ans (et de 1999 à 2002), elle avait été utilisée par Epstein comme « esclave sexuelle » à son service et celui de ses amis puissants, dont le Prince Andrew et un professeur de droit de Harvard, Alan Dershowitz. Elle a affirmé avoir subi des abus physiques qui lui ont fait craindre pour sa vie.
Elle a allégué que le FBI pourrait avoir été impliqué dans une couverture, évoquant aussi le recrutement d’autres filles. Le Prince Andrew, Epstein et Dershowitz ont tous nié avoir eu des rapports sexuels avec elle, et Dershowitz a intenté une action judiciaire contre ses allégations. Un journal censé appartenir à Roberts a été publié en ligne.
Au sein de la BBC, l’émission Panorama a prévu une enquête sur le scandale. Au début de 2015, aucune juridiction n’avait tranché sur ces affirmations.
Le 7 avril 2015, le Juge Kenneth Marra a jugé que les allégations nouvelles formulées par Roberts contre le Prince Andrew n’avait pas d’incidence sur l’accord de non-poursuite et devaient être retirées du dossier. Le Juge Marra n’a rendu aucune décision concernant la véracité ou non des affirmations faites par Roberts ; elle a expressément déclaré que Roberts, plus tard, pourrait apporter ses preuves quand son affaire sera portée devant la cour.
Le 6 février 2008, une femme (restée anonyme) de Virginie a déposé plainte contre Epstein, devant la cour fédérale en réclamant 50 millions de dollars alléguant que quand elle avait 16 ans en 2004-2005, elle a été « recrutée » pour donner à Epstein un massage, dans son manoir où il aurait eu ensuite des relations sexuelles avec elle pour 200 $12. Une plainte semblable (50 millions de dollars demandés) a été déposée par une autre femme en mars 2008, représentée par le même avocat. Plusieurs de ces poursuites ont été non-recevables et d’autres réglées à l’amiable. Epstein aurait jusqu’à présent réglé 17 cas à l’amiable et d’autres cas sont en cours de négociation lors de sa mort. Le 30 décembre 2014, une autre plainte (déposée en Floride) concerne une violation du « Crime Victims’ Rights Act ». Dershowitz est accusé d’avoir abusé sexuellement d’une mineure « fournie » par Epstein. Les allégations portées à l’encontre de Dershowitz ont été finalement éliminées après que son avocat a soutenu qu’elles étaient sans fondements. Un document de la cour allègue qu’Epstein a procuré des jeunes filles mineures à « d’éminents politiciens américains, puissants dirigeants d’entreprises, des présidents étrangers, un premier ministre bien connu, et d’autres dirigeants du monde ».
En juin 2016, une autre femme a déposé plainte devant un tribunal civil, accusant Epstein et Donald Trump, alors candidat républicain à la présidentielle, de l’avoir violée quand elle avait 13 ans, de manière répétée, en 1994, attachée à un lit, et battue alors qu’elle les suppliait d’arrêter, puis menacée de représailles physiques contre elle et sa famille si elle parlait.
Emprisonnement de 2019
Le 7 juillet 2019, Epstein est arrêté pour trafic sexuel de mineurs. La nouvelle procédure concerne de nouvelles victimes et de nouveaux témoins, qui auraient été entendus dans les mois précédents son arrestation.
Mort en prison
Le 10 août 2019, l’administration pénitentiaire fédérale américaine annonce son suicide par pendaison dans sa cellule du Metropolitan Correctional Center (en), à l’âge de 66 ans. Le procureur de New-York, Geoffrey Berman, évoque un suicide « apparent ». Dans les jours qui suivent, le directeur de la prison est muté et deux employés sont suspendus.
L’annonce de son décès déclenche un scandale aux États-Unis, sa mort étant vue comme un moyen pour de nombreuses personnalités d’échapper à des accusations ou poursuites. La surveillance spéciale dont bénéficiait Epstein depuis le 23 juillet, justement en raison d’une tentative de suicide, avait été rapidement levée.
Après sa mort, deux enquêtes sont ouvertes : une par le FBI et une seconde par l’Inspecteur général du département de la Justice des États-Unis.
Le 12 août 2019, les secrétaires d’État français Marlène Schiappa et Adrien Taquet réclament l’ouverture d’une enquête en France, des victimes et des complices d’Epstein pouvant être de nationalité française.
Enquête
La mort d’Epstein, que les autorités ont dans un premier temps qualifié de « suicide apparent », a déclenché de multiples enquêtes sur la façon dont un détenu de cette importance, qui était censé avoir fait l’objet d’une surveillance attentive, a pu mourir sous garde fédérale. La mort du suspect a également suscité l’indignation de ses victimes et de leurs représentants, qui espéraient que le procès d’Epstein l’année prochaine permettrait de rendre justice.
Parmi les points qui font polémique, il y a l’absence de surveillance du détenu. Au mois de juillet 2019, Epstein avait été retrouvé dans sa cellule avec des marques autour du cou, et les autorités avaient tenté de déterminer s’il avait été attaqué, ou avait tenté de se suicider. À la suite de cet incident, Epstein avait été placé sous « surveillance pour risque de suicide ». Malgré cela, le personnel de la prison n’a pas contrôlé la cellule d’Epstein pendant « plusieurs heures » avant sa mort, violant ainsi le protocole qui prévoit que toutes les 30 minutes quelqu’un vérifie la cellule. En outre, Epstein n’aurait pas dû être seul dans sa cellule. Une personne partageait bien sa cellule mais a été transférée vendredi, pour des raisons non encore élucidées, et il n’a pas reçu de nouveau compagnon de cellule. Epstein, qui avait déjà été placé sous surveillance, est donc resté seul et sans surveillance. Les premiers résultats de l’autopsie n’ont fait que renforcer les questionnements autour de la mort d’Epstein. Le Dr Marc Siegel estime qu’il est maintenant « plus probable » que la mort de Jeffrey Epstein soit un homicide plutôt qu’un suicide, en raison de l’autopsie complète du corps d’Epstein qui a trouvé des os cassés dans le cou, y compris l’os hyoïde. L’os hyoïde, qui se trouve près de la pomme d’Adam, peut être brisé lors d’un suicide par pendaison, mais sa fracture est statistiquement plus fréquente dans les cas de meurtres par étranglement selon le Washington Post.
Le 16 août, le rapport d’autopsie confirme que Jeffrey Epstein s’est suicidé par pendaison55. Selon des responsables anonymes cités par le New York Times, il aurait utilisé des draps pour se donner la mort.
Selon le New York Post, il aurait fait un testament deux jours avant sa mort en confiant sa fortune à un trust dont les bénéficiaires sont inconnus.
Enquête en France
Les secrétaires d’État Marlène Schiappa et Adrien Taquet réclament l’ouverture d’une enquête en France. L’association Innocence en danger réclame que la justice française se saisisse du dossier, soulignant que « la France est concernée par ce dossier puisque des investigations menées par le FBI font apparaître plusieurs personnes de nationalité française ». Elle cite notamment une « source fiable » indiquant que « plusieurs victimes du réseau prostitutionnel créé par Jeffrey Epstein et ses complices sont également de nationalité française ».
Déjà, en 2001, Karen Mulder s’était rendu à la 1re DPJ (direction de la police judiciaire) mettant en cause un membre de son entourage ainsi qu’un certain nombre de personnalités qui, selon elle, l’auraient agressée sexuellement, puis invitée sur le plateau de Thierry Ardisson pour son émission Tout le monde en parle révélait avoir été violée par une « tête couronnée » et des dirigeants d’une agence de mannequin.
Figurant dans le « carnet noir » de Jeffrey Epstein, le représentant des Hauts-de-France au Royaume-Uni et ancien directeur délégué du Figaro, Jean-Paul Mulot, dénonce un complot fin août 2019.
(avec Afp)