L’enseigne d’ameublement française Conforama, détenue par le groupe sud-africain Steinhoff, en proie à de « graves difficultés financières », a confirmé mardi le lancement d’un plan de « transformation profonde et nécessaire » passant par la suppression de 1.900 postes dans l’Hexagone. Ce projet passera par la fermeture de 32 magasins Conforama et de 10 magasins Maison Dépôt sur les 235 que compte le groupe en France, selon un communiqué de l’enseigne. Une chose est sûre, comme dans le cas de General Electric, Bercy [le ministère de l’Économie et des Finances français] ne découvre pas le dossier, loin s’en faut. En raison des difficultés de l’enseigne et de sa maison-mère Steinhoff, Conforama bénéficie ainsi de l’assistance du CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle) depuis 2017. Une mise sous cloche qui lui a permis de bénéficier d’exemption de charges sociales et fiscales et de chercher des solutions pour se refinancer. En janvier dernier, le groupe a ainsi cédé à Carrefour sa participation de 17% dans le site de vente en ligne Showroomprivé pour 78,7 millions d’euros. Et en avril, Conforama avait trouvé un accord avec ses créanciers pour un plan de refinancement de 316 millions d’euros. La menace du plan social semblait s’éloigner un peu. Les syndicats l’ont d’autant plus mauvaise aujourd’hui : ils dénoncent notamment les 50 millions de CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) touchés par Conforama depuis cinq ans pour en arriver au final à près de 2 000 suppressions de postes.
Ils pointent aussi les erreurs stratégiques de la maison-mère Steinhoff, qui a vainement tenté de racheter Darty en 2014 et perdu la bataille au profit de la Fnac. Le groupe sud-africain est par ailleurs englué depuis deux ans dans un scandale financier lié à des irrégularités comptables qui ont abouti à la découverte d’un «trou» de six milliards d’euros dans ses comptes… Pendant ce temps-là, le modèle de Conforama n’évoluait pas, au risque de se ringardiser face à ses concurrents Ikea, Habitat et Alinea. Et le coûteux sponsoring de la Ligue 1 de Football par Conforama (25 millions d’euros sur trois ans), n’y aura rien changé.
Un comité central d’entreprise (CCE), prévu mardi matin au siège de l’entreprise à Lognes (Seine-et-Marne), à l’occasion duquel ce plan de restructuration devait être détaillé, n’a pu se tenir « faute de la présence des participants », a appris l’AFP auprès de l’entourage de la direction.
« Le CCE a été déplacé à Torcy, dans un hôtel où il ne pouvait se tenir dans des conditions normales; l’ensemble des élus a donc refusé d’y participer », a précisé à l’AFP Jacques Mossé-Biaggini, délégué FO.
« Le calendrier et les modalités sociales de ce projet seront discutés avec les représentants du personnel dans le cadre d’une procédure d’information-consultation qui s’ouvrira le 11 juillet », a précisé la direction.
500 millions de pertes
Pour expliquer la mise en place de ce projet de restructuration, elle invoque d’importantes pertes cumulées, de l’ordre de « près de 500 millions d’euros » en France depuis 2013.
Ensuite, l’enseigne a dû faire face aux « mutations profondes du secteur de la distribution et plus particulièrement celui de la distribution spécialisée », à quoi s’ajoutent une concurrence exacerbée et des modes de consommation qui évoluent rapidement.
« Dans ce contexte, notre enseigne ne s’est pas suffisamment adaptée et subit une forte baisse de rentabilité de son réseau de magasins », constate le groupe.
Enfin, « les difficultés financières de Steinhoff mettent en exergue une situation qui n’est pas viable », conclut le communiqué, d’où la nécessité de prendre « des mesures fortes et rapides afin d’assurer la pérennité de Conforama et de sauvegarder le plus d’emplois possible sur le long terme ».
L’objectif est « un retour à l’équilibre dans les deux ans », selon une source proche de la direction, sachant que le groupe Conforama a réalisé un chiffre d’affaires hors taxes de 3,4 milliards d’euros en 2018.
« D’une violence extrême »
D’ici là, Conforama « s’engage à limiter, autant que possible, les conséquences sociales des évolutions envisagées et à tout mettre en œuvre pour accompagner au mieux ses collaborateurs ».
L’annonce de ce plan a plongé les salariés dans l’inquiétude, plusieurs rassemblements spontanés ayant lieu devant des magasins, notamment au Pont-Neuf à Paris, l’un de ceux menacés de fermeture.
Refusant de travailler, une vingtaine d’employés ont voulu manifester, dans le calme, leur opposition à cette décision et ont poussé le magasin à fermer ses portes.
« On ne s’attendait pas à ça, la direction nous avait dit de ne pas nous inquiéter », déclare Amel Sbartaï, 42 ans dont 13 à Conforama, conseillère au rayon électroménager. « On nous disait que le magasin du Pont-neuf était la vitrine de Conforama: on nous a menti. »
Les syndicats ont obtenu mardi la liste des magasins concernés par une fermeture, notamment ceux de Paris-Etoile, Vélizy (Yvelines), Calais, Grenoble, Montauban… FO a appelé l’ensemble des salariés à la mobilisation et à la grève illimitée.
« Des salariés sont arrivés sur un des sites qui va fermer, (ils) l’ont appris devant le magasin; c’est d’une violence extrême, c’est insupportable », a réagi sur LCI le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger.
Créé en 1967, Conforama, dont le slogan « le pays où la vie est moins chère » a fait date, avait été racheté en 2011 par Steinhoff, après avoir appartenu pendant dix ans au groupe PPR détenu par l’homme d’affaires François Pinault.
Le groupe est l’un des partenaires-titres (sponsors) de la Ligue 1 de football, à laquelle il verse huit millions d’euros par an, un titre qu’il cèdera à la plate-forme de livraison de repas à domicile Uber Eats à partir de la saison 2020-2021.
La direction a commis « des erreurs de stratégie énormes, avec des investissements par exemple dans le foot là il aurait mieux fallu [les] faire dans la modernisation des produits et des magasins », a taclé Laurent Berger.
COLÈRE ET PORTES CLOSES
« La direction nous avait dit de ne pas nous inquiéter, on nous a menti »: les salariés du magasin Conforama Pont-neuf étaient amers mardi, au lendemain de l’annonce de la suppression de 1.900 emplois et de la fermeture de 32 magasins dont le leur, situé dans le centre de Paris.
Réunis devant le magasin dans lequel la plupart travaillent depuis au moins 15 ans, une vingtaine d’employés ont voulu manifester, dans le calme, leur opposition à cette décision. Refusant de travailler, ils ont poussé le magasin à fermer ses portes mardi.
« On ne s’attendait pas à ça, la direction nous avait dit de ne pas nous inquiéter », accuse Amel Sbartaï, 42 ans dont 13 chez Conforama, conseillère au rayon électroménager. « On nous disait que le magasin du Pont-neuf était la vitrine de Conforama : on nous a menti. »
« La fréquentation était en baisse mais il y avait toujours une excuse: les +gilets jaunes+, la canicule, les travaux », énumère une vendeuse travaillant dans ce magasin depuis 16 ans et qui souhaite rester anonyme. Devant le bâtiment, la rue du Pont-neuf est entièrement en travaux, un son de marteau-piqueur occupe l’espace sonore.
« J’ai travaillé sept ans à la Samaritaine, je suis entrée chez Conforama en 2003 », peu avant la fermeture en 2005 du grand magasin parisien situé juste en face du Conforama Pont-neuf, explique-t-elle. « Quand la Samaritaine a fermé, j’ai marché avec mes anciens collègues. Maintenant, je vis ça de l’intérieur. »
« Trois francs six sous »
80 employés sont répartis entre le magasin du Pont-neuf et un dépôt situé à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) qui fonctionne exclusivement avec le point du vente du 1er arrondissement parisien. Ce dépôt est « lui aussi en grève », a fait savoir Stéphane Brugnon, élu syndical CFE-CGC du magasin.
« Si demain on doit partir, on ne veut pas que ce soit avec trois francs six sous », martèle Djamal Trabelsi, 47 ans, entré chez Conforama à 18 ans. Syndiqué à la CGT mais non-élu, il portait, mardi, le gilet rouge aux couleurs de son syndicat.
Outre l’annonce de la fermeture, les employés du magasin ont un autre grief: la manière dont ils en ont été informés. « Le plus malheureux, c’est qu’on l’ait appris par les nouvelles, pas par notre direction », regrette Amel Sbartaï.
La suppression de 1.900 emplois et la fermeture de 32 magasins Conforama, ainsi que celle des dix magasins de l’enseigne Maison Dépôt, ont été annoncés lundi par la direction aux syndicats, qui l’ont ensuite appris à l’AFP.
Un comité central d’entreprise (CCE) prévu mardi matin, à l’occasion duquel le plan de restructuration devait être détaillé, n’a pu se tenir. « Faute de la présence des participants », a appris l’AFP auprès de l’entourage de la direction. « Le CCE a été déplacé à Torcy dans un hôtel où il ne pouvait se tenir dans des conditions normales; l’ensemble des élus a donc refusé d’y participer », a précisé à l’AFP Jacques Mossé-Biaggini, délégué FO.
Les salariés de Conforama Pont-neuf qui faisaient grève mardi n’envisagent pas de reprendre le travail tant qu’aucune annonce officielle ne leur est parvenue de la part de leur direction.
(avec Afp)