vendredi , 6 novembre 2020
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Etienne TSHISEKEDI : La psychologie du leader révolutionnaire

Qu’est-ce qui fait la différence entre Etienne Tshisekedi et les autres membres du Directoire qui ont succombé aux charmes du pouvoir mobutien ? Le vrai leader révolutionnaire se caractérise par une conscience historique très élevée. On s’aperçoit du niveau élevé de sa conscience historique par la force de ses convictions, par sa capacité à résister à la douleur, aux privations et aux abjections, sans plier ainsi que par sa croyance non seulement à la lutte, mais surtout à la victoire. Même si les autres leaders se découragent, prétextant que le peuple ne comprend rien et ne peut donc pas changer, lui il est convaincu que son peuple comprend tout et qu’il est en communion permanente avec lui, même quand il est en prison ou en relégation loin des regards humains. Cette conviction est assise sur un sentiment inébranlable, communément partagé avec ce Peuple ; celui d’appartenir à une communauté de destin, un destin à construire ensemble dans la joie et dans la douleur ; un destin dont ils détiennent les ficelles dans leurs mains. C’est pourquoi, chaque fois que le leader révolutionnaire s’adresse au peuple, le courant passe facilement. 

Vouloir coûte-que-coûte réduire Dr Etienne Tshisekedi wa Mulumba au rôle de caractère  synchronique, voire immédiat d’ « Opposant Historique », voire « d’un Révolté » aux morbides régimes successifs prédateurs et défaillants des Joseph, dont Mobutu et Kabila – ces deux tristes héritiers de la force, au prétorianisme moyenâgeux – est une courte vue d’esprit, voire une incapacité analytique insupportable, c’est-à-dire une empirie !

L’action du premier Docteur en Droit de l’Université congolaise est de caractère diachronique : aussi bien dans la durée (37 ans d’activisme politique) que dans ses objectifs (réveiller le peuple pour un changement démocratique), dans sa résistance, dans son sacrifice, dans ses résultats – « il nous a appris à ne pas avoir peur, à nous  prendre en charge…, à s’organiser) – que dans le fonctionnement révolutionnaire du parti. Cette action assoit avec force une véritable Révolution politique et mentale comme savent le faire les véritables révolutionnaires qui ont porté haut leur peuple , changé leur destinée et donné une image dynamique leur pays en les amenant du non-être où ils étaient parqués par des régimes de la peur et d’indignité à leur manifestation  comme être humain digne, capable de se réaliser dans la rue où s’établissent des nouveaux rapports de force.

Moins opposant aux régimes hideux dont il prend simplement prétexte pour dénoncer la misère honteuse du peuple, Dr Etienne Tshisekedi est un véritable révolutionnaire qui veut enfanter un Congolais nouveau, combatif, responsable de son destin, conscient de sa responsabilité historique, un Peuple debout, patriotique et vigilant, véritablement souverain primaire …

C’est donc un Révolutionnaire au sens propre du terme, Homme de la trempe de Gandhi, Tata Simon Kimbangu, Nelson Mandela, Patrice Lumumba ; ceux qui ont dédié leur vie à leur peuple pour lui apprendre qu’il a en mains sa destinée. En effet, amener la conscience populaire congolaise à réaliser de telles nécessités, en particulier que le Congolais est maître de son sort et qu’il peut l’améliorer par des moyens naturels dont il est convaincu de l’efficacité pour les avoir expérimentés, équivaut à lui faire faire un saut qualitatif, une découverte dont l’importance sur le plan national est comparable à celle de la découverte de l’énergie atomique dans le domaine scientifique !

Alors entendre des petites voix de ceux qui pendant 50 ans, soit 32 ans avec Mobutu et 18 ans avec Kabila, ont conduit à la ruine, tant de l’homme que de l’économie, s’engraissant au passage, émettre des doutes sur l’héroïsme de la lutte de « Ya  Tshitshi » – quelle institutionnalisation  mémorielle – est une audace critique que ne peuvent se permettre que des véritables inconscients, c’est-à-dire ceux qui ne comprennent vraiment pas le sens de l’Histoire. Dommage !

Mais on ne vous laissera pas faire, hommes et femmes du passé. Parce que même vos « Machines à tricher » ne vous sauveront pas de l’opprobre historique et populaire : l’histoire est une œuvre collective du peuple et le peuple connait et reconnait ses « Héros », ni plus ni moins. On ne triche pas avec l’Histoire.

Marx a dit !

Cette boutade, « Les uns mangent et les autres regardent, voilà comment naissent les révolutions », attribuée à Karl Marx, a du vrai. les révolutions naissent généralement dans des sociétés tristement duales où d’un côté, la majorité de la population croupit sous le poids des injustices massives ourdies et perpétrées par la classe régnante, une population terrassée par la faim devenue famine, et de l’autre côté, une minorité régnante jouissant de tous les privilèges et de toutes les faveurs. L’histoire atteste que c’est cette société des inégalités et des famines qui a conduit les Français à la Révolution au 18ème siècle. C’est la misère de la majorité en Angleterre préindustrielle qui a conduit à la Révolution de Cromwell. Le succès de Lénine et de Mao, respectivement en Russie et en Chine, est fondamentalement l’effet des misères massives qui sévissaient dans ces pays – continents. Et le succès de Dr Etienne Tshisekedi au Congo-Kinshasa est dû essentiellement à la misère entretenue par l’Etat prédateur léopoldien, depuis Léopold II et ses successeurs nègres que sont les Joseph Mobutu et Kabila.

La misère du plus grand nombre est le terreau naturel de la Révolution. Parce que la faim est l’ennemie des Civilisations, elle détruit les valeurs, promeut la prostitution. Alors l’histoire a établi une constante qui s’énonce comme suit : Si, dans une société, où la majorité de la population succombe sous les affres de la Bombe froide qu’est la famine, n’apparait pas un Révolutionnaire ou un groupe des révolutionnaires pour changer la donne politique de partage de richesses et conscientiser le peuple pour son auto-prise en charge, cette société est vouée à la désintégration sous ses deux formes les plus sévères.

La première forme : les peuples essoufflés par la misère perdent le sens de l’histoire, deviennent des simples objets de l’histoire, corvéables à souhait puisque « parqués dans des réserves humaines ». Les Indiens aux Etats-Unis, les Aborigènes en Australie, les Inuits au Canada … sont dans cette situation peu enviable des peuples en voie d’extinction, tandis que la Chine, sous prétexte de les rééduquer, est en train de transformer les Ouïgours en peuples inutiles sur qui on ne peut compter.

La deuxième forme sévère de la déperdition est l’animalisation collective : les peuples terrassés par la surexploitation et la misère qui en découle, et incapables de s’organiser sous la houlette d’un révolutionnaire, se réfugient dans les coins les plus inhospitaliers comme la forêt équatoriale et les déserts ou squattent avec violences des quartiers urbains entiers, s’incapacitant à terme à construire une société humaine viable ou simplement à accepter la puissance salvatrice de la loi.

C’est dire que tous les peuples africains qui ont perdu le sens de l’histoire, c’est-à-dire la volonté d’autodétermination et de liberté, comme les Bushmen, les Hottentots dans le désert de Kalahari ainsi que les pygmées dans la Forêt équatoriale … sont des victimes de la surexploitation. Et malheureusement pour ces peuples, ils n’ont pas eu un « Révolutionnaire » pour leur ouvrir les yeux sur leur « Condition humaine », s’organiser avec eux pour « changer la société d’iniquités en société de justice comme équité » ou tout au moins susciter un espoir de changement. Il faut le dire aujourd’hui : les Congolais étaient dans un tournant de désintégration comme peuple sous Mobutu.

En effet, ils préféraient mourir, sous les mauvais traitements au Congo-Brazzaville que dans leur propre pays, comme ils subissaient des exactions meurtrières en Angola, en Zambie, au Tchad… La même tendance d’expatriation s’était renforcée sous Joseph Kabila, un autre misérabiliste après Mobutu. La tendance forte d’expatriation forte montre que le peuple a perdu tout espoir de construire sur son propre espace vital un destin d’autonomie, de liberté et de bonheur.

De même, la « kulunisation » à outrance de nos villes est l’expression d’un intense désespoir face à l’avenir. C’est la perte du sens de l’histoire. C’est dire que si les Congolais ont échappé de peu à la perte totale du sens de l’histoire en ne s’expatriant pas massivement dans des conditions inhumaines que celles de la Méditerranée, c’est parce que justement Dr Etienne Thisekedi et l’UDPS ont  entretenu, dans les années de braises, l’espoir d’un monde meilleur sur notre propre sol, à partir d’une lutte collective non violente, présentée comme la seule façon pacifique créée par Dieu pour changer le monde, laquelle avait déjà fait preuve ailleurs, comme en Inde, sous Gandhi.

N’avait-on pas comparé Etienne Tshisekedi à Gandhi ? C’est ici que la Révolution « tshisekedienne » prend tout son sens profond. Elle a redonné espoir au Congolais. Elle a réveillé les capacités de lutte contre les pouvoirs arbitraires, la grande constante de l’Histoire congolaise. Elle a organisé la lutte et donné confiance au peuple en tant que maitre de son destin. De tels résultats spectaculaires sont la réponse à un changement des mentalités ; donc une révolution en profondeur que le résultat d’une opposition politique de caractère conjoncturel. Disséquons donc la lutte tshisekedienne !

Le pain et l’eau au cœur du discours révolutionnaire

Toute lutte révolutionnaire, parce qu’elle a pour source les privations massives, commence toujours par la « Dialectique de la famine et des privations ». Au cœur du discours révolutionnaire, il y a la mise en exergue des besoins primaires : le pain, l’eau, le fufu…que nous Peuple manquons parce le « Dictateur » gère mal le pays, s’accapare de toutes les ressources qu’il dilapide avec sa clique, ne partageant pas le bien commun. Le discours révolutionnaire commence par la dénonciation des problèmes vitaux les plus simples pour remonter dialectiquement jusqu’au cœur même de la gouvernance pointée dès lors comme la source de toutes nos misères. On l’a vu avec Thomas Sankara. Chaque discours était une occasion rêvée pour  dénoncer les aliénations. Tout comme Lumumba qui ne se privait pas de mettre, d’ailleurs avec raison, sur le dos de la colonisation scélérate belge les salaires misérables qui ne permettaient pas de prendre soins de nos êtres les plus chers. Etienne Tshisekedi n’a donc pas dérogé à la règle de l’instrumentalisation de la famine et des droits de l’homme pour stigmatiser l’injustice qui fondait le cœur même du pouvoir mobutien, tandis que le Maréchal lui-même était traité et qualifié de « Dictateur ».

Les mots ont tout leur pouvoir d’évocation et d’accusation. Pour s’en rendre compte, il suffit de relire la Lettre du 1er juillet 1979 adressée au Président Mobutu, dénonçant les violations des Droits de l’homme à l’occasion des « Massacres de Katekelay, au Kasaï-Oriental ». De même, la Lettre Ouverte au Président de la République ; lettre signée par 13 Parlementaires en Décembre 1980. Ce sont ces dénonciations qui réveillent et captent la conscience populaire parce que tant que cette conscience n’est pas éclairée, la lutte est sans issue.

La Lettre ouverte est de nature « révolutionnaire » !

La dialectique de la famine, couplée à la stratégie de la lettre ouverte, constitue les fondements de la lutte révolutionnaire, en ce que celle-ci ne doit sa réussite qu’à la mobilisation de la conscience populaire. En effet, la lettre ouverte, donc publique, est toujours déjà lue par le plus grand nombre de la population avant le dictateur lui-même. Elle constitue plus une accusation publique qu’une réelle volonté d’échange épistolaire classique dans la mesure où les expéditeurs eux-mêmes n’en attendent pas une réponse. Ils savent d’avance que le dictateur ne se réduirait pas à répondre aux accusations portées contre lui, et que de ce fait, les accusations portées contre lui seront perçues comme véridiques. C’est pourquoi, le Maréchal Mobutu, ancien journaliste et homme d’information, qui connaissait la nuisance incommensurable de la Lettre ouverte- on ne peut y répondre sans s’accuser soi-même – n’avait pas hésité à appliquer la manière forte, s’enfonçant lui-même dans la culpabilité. Les 13 parlementaires seront arrêtés, déchus de leurs mandats parlementaires, jetés en prison.

Dans un premier temps, Etienne Tshisekedi est relégué à Kisangani, dans la Province Orientale, puis à Kabeya Kamwanga dans le Kasaï Oriental. La vérité est que les arrestations, relégations, bastonnades, blessures du leader et de sa famille constituent des armes révolutionnaires. Le sacrifice du leader est interprété dans un premier temps comme l’expression de son amour pour le peuple. Dans un deuxième temps, son martyr est perçu comme l’exemple pour tous de résister à la dictature. En emprisonnant le révolutionnaire, la dictature dévoile sa vraie face ; celle d’un pouvoir brutal, tortionnaire et violent qu’on doit honnir. Enfin, en acceptant le martyr, le révolutionnaire se met en condition de demander au peuple, au moment opportun le même sacrifice.

C’est pourquoi, dans son histoire, l’UDPS a vu une multitude de ses cadres et militants, subir, sans gémir, des emprisonnements intempestifs, des relégations innombrables. Le leader avait donné l’exemple. Les adhésions massives à ce parti ont été souvent les effets collatéraux du martyr de leader charismatique. Son martyr renforce sa légitimité populaire et celle de la lutte pour le changement. Vingt ans de martyr subi ont imposé Tshisekedi dans l’imaginaire populaire comme le leader de la Révolution.

UDPS : un Parti  politique des masses pour conscientiser

Nkrumah, philosophe et sociologue, l’avait dit à Lumumba en 1958 : « Au Congo, pour bouger les choses, il faut mettre en place un grand parti des masses ». En effet, ayant pris conscience de la misère inacceptable de son peuple, et conscientisant celui-ci sur sa situation concrète par des harangues et des lettres ouvertes, le Révolutionnaire, malgré son martyr, sent le nécessaire besoin, pour renforcer son action d’élévation du niveau de conscience du peuple et de sa capacité de lutte, de recourir à un instrument politique puissant de la conscientisation et d’organisation qu’est le parti politique des masses. Au Congo-Kinshasa, dans un contexte politique bloqué par l’unilatéralisme expansif du parti unique, instrument d’abrutissement des peuples, Etienne Tshisekedi et ses amis défient le Maréchal Mobutu et fondent le 15 février 1982 l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social, UDPS en sigle. Parti clandestin.

Contrairement au parti politique classique qui a la prétention, soit de participer au pouvoir, soit de le prendre et de le conserver le plus longtemps possible, le parti révolutionnaire se destine d’abord à la conscientisation des masses pour élever leur capacité de lutte, convaincu que tant que la conscience populaire sera diffuse, on ne pourra pas sortir de l’ornière. Et contrer les appels du pied du pouvoir en place, le parti révolutionnaire est chapeauté par un Directoire. Ainsi un individu ne peut pas, à lui seul, engager le parti dans la voie de la participation au pouvoir, faisant fi de l’objectif de l’élévation de la conscience du peuple. En conséquence, tout celui qui ose participer au pouvoir en place, s’auto-exclut, et petit à petit, par un processus de sélection révolutionnaire, le leadership va s’éclaircir et finir par échoir au leader le plus résistant, l’incorruptible, l’indomptable, l’intransigeant, l’organisateur par excellence. Au fur et à mesure que les autres membres du Directoire succomberont aux sirènes du pouvoir mobutien, Etienne Tshisekedi va s’imposer comme le seul leader du changement démocratique au Congo-Kinshasa.

Arrestations et relégations, deux décennies durant, confirment et raffinent son leadership auprès du peuple. Il est l’homme d’airain. Ses refus multiples de participer au pouvoir mobutien convainquent le peuple que son intérêt n’est pas celui-là mais celui du Changement, un changement que le peuple lui-même doit prendre en charge. Et pour y arriver, le parti révolutionnaire implante des représentations provinciales et régionales, ayant compétence de réveiller, faire vivre, accélérer la prise de conscience des citoyens. Le parti se laisse percevoir comme l’organisme à travers lequel le peuple exerce son autorité et sa volonté. Il est l’expression directe des masses. A l’exemple de Félix Antoine Tshisekedi qui a reculé quand la Masse, à Kinshasa, avait dit non à l’accord de Genève. Et la face du Congo n’a-t-elle pas changé sous la pression de la masse : Le peule d’abord !

La psychologie du leader révolutionnaire

Qu’est-ce qui fait la différence entre Etienne Tshisekedi et les autres membres du Directoire qui ont succombé aux charmes du pouvoir mobutien ? Le vrai leader révolutionnaire se caractérise par une conscience historique très élevée. On s’aperçoit du niveau élevé de sa conscience historique par la force de ses convictions, par sa capacité à résister à la douleur, aux privations et aux abjections, sans plier ainsi que par sa croyance non seulement à la lutte, mais surtout à la victoire. Même si les autres leaders se découragent, prétextant que le peuple ne comprend rien et ne peut donc pas changer, lui il est convaincu que son peuple comprend tout et qu’il est en communion permanente avec lui, même quand il est en prison ou en relégation loin des regards humains. Cette conviction est assise sur un sentiment inébranlable, communément partagé avec ce Peuple ; celui d’appartenir à une communauté de destin, un destin à construire ensemble dans la joie et dans la douleur ; un destin dont ils détiennent les ficelles dans leurs mains.

C’est pourquoi, chaque fois que le leader révolutionnaire s’adresse au peuple, le courant passe facilement. On s’entend bien parce qu’on est tous fait du même bois. Parce qu’ils appartiennent à une même communauté de destin, de culture et des valeurs, le leader et son peuple partagent les mêmes convictions d’émancipation ancrées dans la culture comme espace d’intelligence collective. Partageant une communauté de destin et de culture, le leader et son peuple ont le sentiment qu’ils  sont, chacun là où il est, un maillon d’une chaine humaine infinie, à la puissance incommensurable, donc imbattable quand ils sont unis.

C’est pourquoi ils n’ont plus peur de la mort. La peur de la mort est l’effet d’un sentiment de solitude qu’éprouve un peuple qui ne partage pas le sentiment de continuité historique ; chacun croit qu’il est seul et que son sacrifice ne servirait à rien. Un tel sentiment de solitude, donc de la peur est révélateur de la faiblesse  voire de l’inexistence de la conscience historique, laquelle, quand elle est largement partagée, raffermit l’unité psychique, matérielle ainsi que la cohésion sociale d’un peuple. C’est ce que  tout leader révolutionnaire est le représentant et le héraut d’une culture historique laquelle porte les ambitions communes, la volonté de puissance d’un peuple.

C’est pourquoi, le leader révolutionnaire, puisqu’il porte la conviction d’une mission historique de libération de son peuple de tout joug, se met spontanément, mentalement, physiquement au-dessus du superflu. Vivant de peu, il ne porte donc plus d’exigences matérielles fortes, donc il n’est plus corruptible. La lutte l’accapare totalement et il y subordonne tout, même sa vie privée, ses enfants, ses biens. La corruption qui frappe le leader opportuniste, celui qui abandonne la lutte par fatigue, par pressions diverses ou par la conviction que le changement n’est pas possible, cette corruption est le résultat de ses faibles convictions culturelles, dont fondamentalement l’absence de la confiance dans les capacités illimitées de l’homme à aller de l’avant.

Le leader opportuniste est bassement matérialiste, croit que les hommes sont comme des marchandises, dont interchangeables, surtout qu’ils ont un prix. Ainsi, est-il convaincu que s’il ne prend pas ce qu’on lui offre, d’autres prendront, donc qu’il est inutile de se sacrifier. Chez le leader révolutionnaire historique, l’homme, tout homme, est un modèle unique, non interchangeable, non marchandable, parce porteur d’une culture comme capacité d’autoréalisation permanente, laquelle le place au-dessus des animaux et de la marchandise frappés de l’immédiateté. La culture seule est pour l’homme. La culture seule conduit l’action du leader révolutionnaire.

Les attitudes de Dr Etienne Tshisekedi tout au long de son long combat de quatre décennies (37 ans exactement), ont eu des interprétations parfois infantiles, souvent  inopportunes. Les uns trouvaient qu’il était outrageusement orgueilleux, un « Muluba » vantard, « Monsieur NON », méprisant. On l’accusait de manquer de « réalisme politique », parce qu’il refusait d’intégrer le pouvoir d’Etat pour accéder aux ressources qui permettraient au Parti de bien fonctionner. Et même après sa mort, les témoignages sont édifiants : Tshisekedi n’avait pas peur, était pétri des convictions et aimable avec les plus humbles d’entre nous et jamais paternaliste. Aussi bien les premières critiques que les témoignages posthumes se rattachent à une même branche, celle de l’expression d’une forte conscience historique, c’est-à-dire un homme maitre de son destin.

Maitre de son destin, Dr Tshisekedi était aussi convaincu que tout Congolais était son propre dieu, maitre de son destin, pourvu qu’il en soit suffisamment conscientisé. C’est pourquoi, il était convaincu que le peuple congolais avait son destin en mains. Et que par la lutte collective, chaque peuple doit pouvoir améliorer son sort sur terre. Aussi le leader révolutionnaire ne voit-il son rôle que comme celui d’une avant-garde qui oriente l’action du peuple, tout en se laissant contrôler par ce peuple d’une façon dépouillée de toute sentimentalité.

Le contrôle du peuple est la garantie de l’efficacité de l’action commune. D’où la première signification de la praxis « Le Peuple d’abord » : l’homme politique est le serviteur du peuple. C’est le peuple qui fait l’histoire, une œuvre collective. On comprend dès lors pourquoi Dr Etienne avait un sens très élevé de l’histoire, parce seule l’histoire juge, donc en définitive le Peuple et son imaginaire. Et si Feu Etienne Tshisekedi ne peut pas se targuer devant Dieu d’avoir chassé Mobutu et Kabila du pouvoir, il a néanmoins préparé les conditions de leur départ et surtout l’avènement de la transition démocratique que nous vivons maintenant, tous convaincus que les débiles dictatures des prétoriens sont définitivement derrière nous. Définitivement.

La Conférence Nationale Souveraine : l’aboutissement d’un processus révolutionnaire

L’action la plus palpable résultant de la conscientisation de notre peuple par l’UDPS  et Etienne Tshisekedi est à voir sûrement dans l’avènement de la Conférence Nationale Souveraine de 1990 où le peuple en Conférence a fait basculer un pouvoir sans partage vers un partage équilibré de pouvoir. En effet, l’avènement de l’UDPS dans les années 80 a eu pour effets majeurs d’hypostasier des droits de l’homme, le multipartisme syndical, la libération de la parole et de la peur. La convergence de toutes ces oppositions a miné de l’intérieur la dictature mobutienne, l’obligeant à s’amender devant le peuple réuni en conférence. La grande réussite de Tshisekedi est son élection à 70% au poste de Premier ministre, alors que l’opposition n’était représentée qu’à 30%. La dynamique de groupe et la conscientisation avaient eu le dessus sur les prédateurs.

Aujourd’hui, les grands leaders de la Société civile témoignent : c’est le Dr Etienne Tshisekedi qui leur avait conseillé d’aller mettre en place les associations de défense des droits de l’homme parce que l’UDPS ne pouvait pas tout faire. Aussi bien les Buana Kabue que Paul Sapu, Feu Floribert Chebeya d’heureuse mémoire, que Me André Muila des Toges Noires, Dr Numbi Mugangu, le père fondateur de l’Ordre des Médecins, que Pierre Lumbi, François Kandolo, Me Mbuyi Luyongola que Me Muyambo, Tshivis Tshivuadi et Donat Mbaya de JED reconnaissent la figure tutélaire du Sphinx révolutionnaire de Limete dans l’avènement et l’expansion du mouvement associatif et de défense de Droits Humains, lui qui se battait plus pour réveiller le peuple, lui rendre sa dignité que pour accéder au pouvoir, qu’il refusa par ailleurs plus que n’importe quel autre acteur politique au Congo Kinshasa.

Comme Gandhi, comme Cabral, comme Fanon, Dr Etienne Tshisekedi n’a pas accédé à la tête de l’Etat parce que son combat était plus immense qu’un poste d’Etat : nous ouvrir les yeux pour toujours, nous mettre debout pour toujours, nous armer contre des pouvoirs sans objet, ces pouvoirs arbitraires qui écument le Congo-Kinshasa depuis six décennies. Joseph Kabila qui prétendait à l’atteinte de son code 32, comme Mobutu, s’est vu casser les reins par un peuple debout.

Que dire d’autre d’Etienne Tshisekedi, l’Homme d’airain, qui se battait pour une vie meilleure pour tous. L’homme que nous avons en ce début de mois de juin mis sous  terre, est un Immortel, un Révolutionnaire au sens le plus noble. Il a sans verser du sang changer mentalement le Congo.

(avec Emmanuel Kabongo Malu )

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