vendredi , 6 novembre 2020
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Soudan : Incertitude politique

Le mouvement de contestation au Soudan restait déterminé mercredi à poursuivre la mobilisation, rejetant l’appel à des élections par les militaires au pouvoir. Des coups de feu se font entendre mercredi dans les rues de Khartoum, où la répression de la contestation, sur ordre du Conseil militaire au pouvoir, a fait au moins 60 morts depuis lundi, selon un comité proche des manifestants soudanais. Depuis la dispersion du sit-in devant le QG de l’armée lundi, qualifiée de « massacre » par la contestation, des paramilitaires reliés à l’armée, les Forces de soutien rapide (RSF), ont été déployés à travers le pays, notamment à Khartoum. Ces forces sont accusées par le mouvement de contestation d’être les principaux auteurs de la dispersion par la force des rassemblements, qui a fait « 60 morts » et « 326 blessés » depuis lundi, selon le dernier bilan du Comité central des médecins, proche de la contestation. Cette organisation avait toutefois indiqué mardi que le nombre réel des morts était « plus important », seuls les corps recueillis dans les hôpitaux pouvant être comptabilisés selon elle.

Mercredi, plusieurs témoins ont rapporté des bruits de coups de feu à l’AFP dans la capitale soudanaise.

Boutiques au rideau de fer baissé, circulation réduite à une poignée de véhicules: les rues de Khartoum sont quasiment désertes, le jour où le pays célèbre la fête musulmane du Fitr, marquant la fin du mois du ramadan. Seuls quelques fidèles prient dans les rues de la capitale.

L’internet mobile n’est plus accessible depuis lundi, alors que les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans le mouvement de contestation.

Depuis le 6 avril, des manifestants sont réunis devant le QG de l’armée à Khartoum: après avoir réclamé le départ du président Omar el-Béchir, destitué par l’armée le 11 avril et remplacé par un Conseil militaire de transition, ils exigent désormais le transfert du pouvoir aux civils.

« Situation très difficile »

« Parmi les blessés, il y a encore des personnes dans un état grave et je m’attends à ce que le nombre de morts augmente », s’est alarmé un médecin officiant dans deux hôpitaux de Khartoum.

« La situation est très difficile », a-t-il rapporté à l’AFP sous le couvert de l’anonymat pour des raisons de sécurité. « La plupart des hôpitaux ont pris en charge plus de victimes que leur capacité (d’accueil) ne le permet ».

Il déplore « un manque de personnel médical » et « une pénurie de sang », précisant qu' »il est difficile d’opérer car certaines opérations ne peuvent être réalisées que dans certains hôpitaux » de la capitale.

Selon le comité des médecins, plusieurs membres du personnel médical ont été « frappés » et « arrêtés » par les forces de sécurité, et plusieurs hôpitaux ont été pris pour cible.

A Omdourman, ville jumelle de Khartoum, les forces de sécurité patrouillent à bord de véhicules notamment équipés de mitrailleuses et canons anti-aériens.

A Khartoum, la circulation est rendue difficile par le déploiement des RSF et le blocage des routes par les manifestants qui tentent de se protéger en érigeant des barricades de fortune faites de pierres, troncs d’arbre ou pneus enflammés.

Les RSF sont d’ordinaire cantonnées à d’autres régions en conflit au Soudan et sont accusées par de nombreux Soudanais et des organisations de défense des droits humains d’avoir commis de graves exactions au Darfour (ouest).

« Regrets »

Dans un discours télévisé, le chef du Conseil militaire Abdel Fattah al-Burhane a dit « regretter ce qu’il s’est passé » à Khartoum lundi. Une enquête a été ouverte par le parquet général, a-t-il assuré.

Les généraux démentent avoir « dispersé par la force » les rassemblements devant le siège de l’armée, évoquant une « opération de nettoyage » près du sit-in par les forces de sécurité ayant mal tourné.

« Nous ouvrons nos bras aux négociations sans restriction, sinon celle de l’intérêt national, pour fonder un pouvoir légitime qui reflète les aspirations de la révolution des Soudanais », a déclaré le général Burhane, appelant à ouvrir « une nouvelle page ».

Les généraux avaient décidé d’annuler tous les accords et les négociations avec les chefs de la contestation, tout en appelant à la tenue d’élections.

Les représentants des manifestants avaient également annoncé la rupture de « tout contact » avec les militaires après le « massacre » du sit-in, rejetant l’appel à des élections par le Conseil qualifié de « putschiste ».

Les négociations entre les généraux et la contestation avaient étaient suspendues le 20 mai, chaque camp refusant de céder à l’autre la direction de la transition politique post-Béchir.

La communauté internationale a appelé à la reprise du dialogue. Mais « en ordonnant ces attaques, le Conseil militaire de transition a mis en péril le processus de transition et de paix au Soudan », ont dénoncé Washington, Londres et Oslo.

Selon des diplomates, la Chine, appuyée par la Russie, a bloqué mardi au Conseil de sécurité de l’ONU un texte condamnant les morts civils au Soudan et appelant à cesser immédiatement la violence.

LE MOUVEMENT DE CONTESTATION DÉTERMINÉ À LUTTER

Le mouvement de contestation au Soudan restait déterminé mercredi à poursuivre la mobilisation, rejetant l’appel à des élections par les militaires au pouvoir deux jours après la dispersion sanglante d’un sit-in de manifestants à Khartoum, qualifiée de « massacre ».

Des images amateurs filmées durant la dispersion montrent des dizaines de manifestants, essentiellement des jeunes, courant pour fuir les balles tirées de loin. Dans leur course, certains transportent péniblement des blessés.

« La situation est maintenant pire que jamais », a condamné l’Association des professionnels soudanais (SPA), clé de voute de la contestation.

« Nous appelons tous les Etats et les organisations à isoler et à cesser de traiter avec le soi-disant Conseil militaire », a déclaré la SPA dans un communiqué, dénonçant des « crimes contre l’humanité ».

Lors d’une conférence de presse mardi à Londres, le Syndicat des médecins soudanais a accusé les forces de sécurité d’avoir attaqué des hôpitaux dans tout le pays. Des femmes ont été violées à Khartoum, a dénoncé l’organisation sans préciser d’où elle tirait ses informations.

La Croix-Rouge internationale a annoncé sur Twitter avoir fourni du matériel médical. « Le passage en toute sécurité des ambulances, du personnel médical et du matériel est essentiel », selon elle.

Après la répression du sit-in, le mouvement de contestation a décidé de rompre « tout contact » avec le Conseil militaire et appelé les Soudanais à continuer les « marches pacifiques ».

La SPA a appelé à « la grève et à la désobéissance civile jusqu’au renversement du régime ».

Elle a en outre réclamé une enquête indépendante « sous supervision internationale autour du massacre » devant le QG de l’armée.

Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni à huis clos mardi en urgence à la demande de l’Allemagne et du Royaume-Uni, qui ont présenté un communiqué appelant les militaires et les manifestants au Soudan à « continuer à travailler ensemble vers une solution consensuelle », selon le document consulté par l’AFP. Mais l’initiative a été bloquée par la Chine et par la Russie.

Dans un communiqué commun, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège ont estimé que « le peuple soudanais mérite une transition dans le calme, menée par des civils, qui puisse établir les conditions pour des élections libres et justes, plutôt que d’avoir des élections hâtives imposées ».

Prières et manifestations

Malgré le déploiement massif d’hommes en uniformes et de véhicules des RSF, la contestation a appelé les Soudanais à se rendre dans la rue et dans les mosquées pour prier à l’occasion de l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du mois de ramadan, malgré une décision des autorités de fixer à mercredi la date de cette fête.

A Port-Soudan (est), sur la mer Rouge, après la prière, les fidèles ont défilé en criant « Chute du Conseil militaire » et « Pour un pouvoir civil », a indiqué un témoin.

Dans le quartier de Chambat à Khartoum, des Soudanais se sont réunis dans la rue pour prier, « mais les RSF et la police ont tiré des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes », selon un habitant. Et « les jeunes ont fermé la rue principale avec des barricades ».

A Chambat, comme dans un autre quartier Khartoum, Burri, des coups de feu ont continué de retentir dans la soirée de mardi, selon des témoignages de résidents.

« Statu quo autoritaire »

Le Conseil militaire a dit « regretter » les violences de lundi. Il a évoqué une « opération de nettoyage » près du sit-in par les forces de sécurité qui a mal tourné.

Dans le même temps, il a décidé de « cesser les négociations avec l’Alliance pour la liberté et le changement » (ALC), qui chapeaute le mouvement de protestation, et appelé à « des élections générales dans un délai de neuf mois maximum », selon un communiqué de son chef, le général Abdel Fattah al-Burhane.

Les élections se tiendront sous « une supervision régionale et internationale », a-t-il ajouté, en s’engageant à « garantir les libertés publiques ».

Le général Burhane vient d’effectuer une tournée en Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis et en Egypte, trois pays qui souhaitent « maintenir le statu quo autoritaire et tentent systématiquement d’appuyer les anciens régimes et leurs armées », selon le chercheur Karim Bitar, de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).

Pour la SPA, le discours du général Burhane ne fera que « raviver la flamme de la révolution ». « Ni le Conseil putschiste, ni ses milices, ni ses dirigeants, ne peuvent décider du sort du peuple et de la manière de gérer la transition vers un pouvoir civil ».

(avec Afp)

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