vendredi , 6 novembre 2020
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Amazonie : La déforestation a repris de plus belle

Fusil à l’épaule et mine désolée, Tatji Arara enjambe d’énormes troncs d’arbres qui jonchent la forêt défigurée par les trafiquants de bois dans l’Etat du Para, au coeur d’une Amazonie brésilienne en proie aux conflits fonciers. « Tous les jours, nous découvrons de nouveaux arbres coupés, je n’avais jamais vu une chose pareille », déplore ce cacique indien de 41 ans, qui assure que la déforestation a repris de plus belle depuis l’arrivée au pouvoir en janvier du président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Ce dernier a clamé haut et fort pendant sa campagne électorale qu’il ne cèderait pas « un centimètre de plus » aux terres autochtones.

D’après l’ONG Imazon, la déforestation en Amazonie a augmenté de 54% en janvier 2019 – premier mois de présidence de M. Bolsonaro – par rapport à janvier 2018, et l’Etat du Para concentre à lui seul 37% des aires dévastées.

Le territoire Arara, où vivent environ 300 indigènes sur 274.010 hectares, soit une surface équivalente à environ 264.000 terrains de football, est censé être inviolable depuis qu’il a été officiellement délimité par le gouvernement, en 1991.

« Bolsonaro a empoisonné l’esprit du peuple, beaucoup de gens pensent qu’il va nous prendre nos terres, mais nous n’allons pas le laisser faire », souligne Tatji Arara, vêtu d’un simple bermuda et d’un maillot de Flamengo, le club de football le plus populaire du Brésil.

« Si les extractions illégales de bois continuent, nos guerriers prendront leurs arcs et leurs flèches, il pourrait y avoir des morts », prévient-il.

Dans une lettre adressée en février au parquet fédéral, les Arara ont affirmé que les anciens de la tribu envisageaient de « se faire justice eux-mêmes », évoquant même un rituel ancestral consistant à fabriquer une sorte de flûte « avec le crâne des envahisseurs ».

A Brasilia, des centaines d’indigènes devaient se retrouver de mercredi à vendredi pour défendre devant les centres du pouvoir leur droit à la terre, comme chaque année.

Sacrifié à l’asphalte

Les terres Arara se trouvent dans la zone d’Altamira, la plus grande municipalité du Brésil en termes de superficie, plus vaste que le Portugal et peuplée d’environ 110.000 habitants.

Les communautés autochtones locales ont déjà été fortement affectées par le projet pharaonique de Belo Monte, une centrale hydroélectrique dont la construction doit se terminer d’ici la fin de l’année, comprenant un barrage qui sera le troisième plus grand au monde. Des dizaines de personnes ont dû être déplacées et l’écosystème local a été bouleversé.

C’est également à Altamira que le régime militaire a inauguré en 1970 le premier tronçon de la transamazonienne. Inachevée, cette route censée traverser le « poumon de la planète » a déjà laissé une cicatrice de plus de 4.000 km à travers l’Amazonie.

La plaque commémorative de l’inauguration a été installée à côté d’un véritable monument à la déforestation: une immense souche de noyer du Brésil, sacrifié à l’asphalte.

Cet arbre, un des plus grands de la forêt amazonienne, produit des noix dont la cueillette est une des principales sources de revenus de Tatji Arara.

Quand le cacique voit un bidon de 200 litres de gazole abandonné au milieu d’une clairière, son sang ne fait qu’un tour: il tire un coup de fusil et le carburant se répand au sol. Environ 500 mètres plus loin, il désigne un camion bleu destiné au transport de bois, à moitié calciné, incendié en février par une soixantaine d’indigènes.

« Idiots et paresseux »

À proximité de la transamazonienne, qui à ce niveau-là n’est pas asphaltée et se transforme en chemin de terre rouge, les trafiquants de bois ont fait des percées dans la forêt sur plusieurs kilomètres.

Ils utilisent de gros engins pour défricher et laissent souvent sur leur passage les troncs déjà prédécoupés, récupérés discrètement un autre jour.

« Quand on les prend en flagrant délit, ils disent que ces terres n’appartiennent à personne, que les Indiens sont idiots et paresseux parce qu’ils ne veulent pas planter de soja », raconte Tatji Arara.

Au Brésil, les 566 terres indigènes délimitées par le gouvernement représentent plus de 13% de l’immense territoire national. Le droit des autochtones à la terre est ancré dans la Constitution de 1988.

Il est formellement interdit de pratiquer sur ces terres indigènes toute activité qui menace le mode de vie traditionnel des populations, notamment l’exploration minière ou l’extraction de bois.

« Escalade des tensions »

Mais le ministre des Mines et de l’Energie Bento Albuquerque a laissé entendre début mars lors d’une rencontre au Canada avec de grands entrepreneurs du secteur minier que le gouvernement pourrait en finir avec ces restrictions, qui selon lui « favorisent les activités illégales ».

« Nous assistons à une escalade des tensions et les Indiens sont souvent contraints de se substituer aux pouvoirs publics, dont les effectifs sont très restreints », déplore Adriano Augusto Lanna de Oliveira, procureur du parquet local, qui craint un bain de sang.

« C’est très inquiétant de voir les Indiens jouer le rôle de la police, parce qu’ils sont souvent décimés lors de ce genre de conflits », renchérit Paulo Henrique Cardoso, un autre procureur d’Altamira.

Les conflits pour la terre dans cette région ont également fait de nombreuses victimes parmi les militants des droits humains, à l’image de Dorothy Stang, une missionnaire américaine assassinée en 2005, à l’âge de 73 ans.

Du sang et des larmes

« Altamira est une ville inondée de sang et de larmes », déclare Antonia Melo, qui dirige le collectif d’associations Xingu vivo para sempre (le fleuve « Xingu sera toujours vivant »).

« Malheureusement la situation, qui était déjà déplorable en raison des conséquences irréversibles du barrage de Belo Monte, a empiré avec l’élection de Bolsonaro », dit cette femme de 69 ans aux longs cheveux poivre et sel, qui garde des photos de Dorothy Stang et d’autres militants tués dans son bureau: Jair Bolsonaro « s’est fait élire avec un discours de haine et maintenant qu’il est au pouvoir, les trafiquants de bois et les grands propriétaires terriens se sont enhardis ».

Le ministre du Secrétariat au gouvernement, Carlos Alberto dos Santos Cruz, s’est rendu spécialement à Altamira le 12 mars pour rencontrer des chefs indigènes. Il a promis de réclamer à Brasilia des renforts pour la police fédérale et les organismes environnementaux afin de lutter contre la déforestation.

Interrogé par l’AFP, il a nié catégoriquement que le discours de Jair Bolsonaro ait stimulé les incursions dans les terres indigènes: « C’est une interprétation absurde, le discours du président a toujours été dans le sens du respect de la loi. L’invasion de toute terre, indigène ou non, est intolérable ».

Surara Parakana, cacique venu rencontrer le ministre à Altamira avec le visage recouvert de peintures traditionnelles de couleur noire, reste toutefois sceptique et réclame des mesures concrètes: « Il faut que le gouvernement agisse parce que notre forêt fournit de l’oxygène au monde entier, pas seulement aux Indiens ».

DES INDIENS ATTACHÉS À LEUR CULTURE

En bermuda et t-shirt, les Arara sont loin du cliché de l’Indien à moitié nu et coiffé de plumes, mais restent farouchement attachés à leur culture et à leur territoire, au coeur de l’Amazonie brésilienne, dans l’Etat du Para (nord).

Quelque 200 Arara vivent dans le village Laranjal, au bord de la rivière Iriri et à quatre heures de bateau d’Altamira, la plus grande ville de la région. Une équipe de l’AFP a passé plusieurs jours parmi eux.

Ils se plaignent du fait que les terres qui leur sont réservées sont régulièrement spoliées par les trafiquants de bois et d’une multiplication d’incursions depuis l’arrivée au pouvoir en janvier de Jair Bolsonaro.

Le chef de l’Etat, un ancien militaire d’extrême droite, a donné le ton de sa vision des questions indigènes en se demandant peu après son élection « pourquoi maintenir les Indiens reclus dans des réserves, comme des animaux dans un zoo? ».

Les Indiens sont « comme nous, ils veulent évoluer, prendre l’avion, avoir accès à des médecins, des dentistes, la télévision, internet », poursuivait-il.

Plusieurs milliers de représentants de tribus indigènes du Brésil, certains en tenues traditionnelles, campaient jeudi dans le centre de Brasilia pour un rassemblement de trois jours destiné à faire valoir leurs droits sur leurs terres ancestrales.

Si certains Arara s’habillent comme à la ville, d’autres ont le visage ou les membres peints de motifs inspirés de plantes ou d’animaux, à l’aide de pigments extraits de baies de jenipapo, un arbre fruitier de l’Amérique tropicale.

Leurs maisons en bois aux parois peintes en bleu ont été bâties dans un style similaire à celui de leurs demeures traditionnelles par Norte Energia, la société qui gère le barrage de Belo Monte en construction, à titre de compensation pour les dommages environnementaux.

Le dispensaire et le logement de fonction de l’infirmière, eux aussi construits par l’entreprise, sont en béton.

Selon les chiffres officiels, quelque 800.000 indigènes de 305 ethnies vivent au Brésil, un pays de 209 millions d’habitants. Certains sont plus attachés aux traditions que les Arara, vivant isolés et s’habillant uniquement de simples pagnes au milieu de l’épaisse forêt. D’autres ont au contraire totalement abandonné leur style de vie ancestral et préfèrent vivre en ville.

Contrairement à d’autres indigènes, les Arara parlent tous la langue ancestrale, les plus anciens refusant même pour la plupart de s’exprimer en portugais.

Un groupe électrogène est allumé de 19h00 à 22h00, le temps pour certains jeunes de charger leur téléphones portables. Ils ne captent pas de réseau, mais regardent des clips de vedettes comme la chanteuse pop brésilienne Anitta, qu’ils téléchargent quand ils sont en ville.

Voici le déroulé d’une journée passée chez les Arara :

4h00 : Pas besoin de réveil, le chant tonitruant des coqs met les oreilles non averties au supplice bien avant le lever du soleil. Le village tout entier est une véritable basse-cour géante, des dizaines de gallinacées se promenant en toute liberté… avant de passer à la casserole. Certains habitants maintiennent des singes en semi-captivité, parfois tenus en laisse: un temps animaux de compagnie, ils finissent en ragout.

7h30 : L’infirmière Karina Silva Marçal, qui vient de l’extérieur, n’a pas le temps de finir son petit-déjeuner. Un petit garçon tape déjà à sa porte pour demander du sirop pour la toux. La jeune femme noire de 32 ans est une itinérante: elle passe deux mois dans un village, puis se repose en ville pendant un mois. Chez les Arara, Karina doit prendre soin tout particulièrement de deux personnes handicapées. « Mais le pire fléau, c’est la grippe. Quand les Arara vont en ville, ils reviennent souvent malades et si on ne fait pas attention, tout le village est contaminé », explique-t-elle.

10h00 : La rentrée scolaire a eu lieu depuis plus d’un mois en ville, mais l’école du village n’ouvrira ses portes que la semaine prochaine. L’enseignante Janete Carvalho, 35 ans est déjà à pied d’oeuvre. C’est l’heure du grand nettoyage, pour que les quatre salles de classe, regroupées dans deux grandes maisons de bois, soient parfaitement opérationnelles. Sur les murs, on peut voir des papiers colorés avec les noms des enfants, la plupart en langue ancestrale, comme Mupera, Tjianden ou Mogoia, et leur date d’anniversaire. « Les jeunes Indiens ne sont pas très différents des autres enfants. En général, ils sont très bons en maths et adorent les cours d’arts plastiques », explique l’enseignante.

11h30 : Pendant que sa femme épluche le maïs et fait cuire du manioc et du poisson pour le repas, Munenden, 23 ans, jeune homme souriant au corps athlétique, contemple de sa fenêtre son fils d’un an et demi qui crapahute dans l’herbe, une peinture de jenipapo tatouée sur les bras et le visage. « Je n’aime pas passer trop de temps en ville, il y a trop de maladies. J’y vais seulement quand c’est nécessaire », affirme le jeune homme.

« On va parfois à Altamira faire des courses, mais on ne passe pas plus de deux jours là-bas », renchérit son voisin Mouko, un homme 43 ans à l’expression sévère. « Bolsonaro veut que les Indiens vivent comme les Blancs, mais nous n’abandonnerons jamais nos coutumes. On vit de la pêche et de la chasse, il faut préserver la nature, arrêter d’arracher les arbres. »

Les Arara chassent notamment des cochons sauvages – noirs comme des sangliers, mais plus petits et dépourvus de défenses – et pêchent des poissons comme le tucunaré (appelé aussi Peacock Bass), un gros poisson de 50 cm emblématique des affluents de l’Amazone. Ils dépendent aussi des allocations de la « Bolsa Familia », programme social créé par la gauche en 2003 pour inciter les familles brésiliennes à scolariser leurs enfants.

15h30 : Une dizaine d’hommes courent vers la forêt, des fusils à la main. Non, le village n’est pas attaqué, mais un troupeau de cochons sauvages a été aperçu, l’occasion d’organiser une battue. Les jeunes s’engagent dans un sentier, un ancien décide d’en emprunter un autre, suivi à distance par une quinzaine de femmes et d’enfants portant une brouette et des machettes. Les jeunes reviennent bredouille, mais l’ancien, fort de son expérience, tue quatre cochons.

La brouette est trop petite pour les transporter? Pas de problème, les machettes sont aiguisées et le gibier est dépecé sur place, les tripes dégoulinantes laissées à même le sol. Les cuissots et les côtes sont découpés soigneusement et portés sans difficulté par les enfants. Le cochon à la broche s’annonce savoureux!

19h30 : Le groupe électrogène est déjà en marche, mais une poignée d’enfants maigrichons de 3 à 8 ans en short préfèrent s’amuser près du feu. Ils empoignent des bâtons, se visent les uns les autres comme s’ils tiraient et les « morts » s’écroulent de façon très théâtrale. À quoi jouent-ils? « Aux Indiens »!

(avec Afp)

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