vendredi , 6 novembre 2020
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Soudan : Prolongement du régime d’Omar el-Béchir

Les responsables de la contestation au Soudan ont annoncé dimanche la suspension des discussions avec les militaires, et appelé à intensifier les manifestations réclamant un pouvoir civil. « Nous suspendons nos discussions avec le Conseil militaire » de transition, a déclaré un porte-parole des organisations représentant la contestation, Mohamed al-Amine, qui s’adressait à des milliers de personnes rassemblées devant le QG de l’armée à Khartoum. « Nous considérons le Conseil militaire comme un prolongement du régime » de l’ex-président Omar el-Béchir, destitué le 11 avril dernier, a-t-il ajouté en appelant à « poursuivre et intensifier les manifestations jusqu’à ce que nos demandes soient satisfaites ».

Les manifestants massés devant le QG militaire agitaient des drapeaux soudanais, et inondaient de lumière les bâtiments avec les lampes de leurs téléphones portables.

« Liberté, paix, justice » scandait la foule. « Notre révolution est civile, elle est protégée par le peuple » lançaient aussi des manifestants.

Le chef du Conseil militaire de transition, le général Abdel Fattah al-Burhane, a fait monter la pression sur les manifestants en « condamnant le blocage de routes et la fouille de personnes sans en avoir l’autorité », lors d’une rencontre avec des officiers de haut rang. Il faisait référence aux barrages et points de contrôle établis par les manifestants aux abords du QG de l’armée.

Samedi, les dirigeants militaires et les leaders de la contestation avaient eu des discussions et convenu de les poursuivre. D’autres séries de discussions avaient également eu lieu auparavant, selon un responsable de la contestation.

Plus tôt dans la journée, le général Burhane avait affirmé à la télévision son « engagement à remettre le pouvoir au peuple », et promis que l’armée répondrait dans la semaine aux demandes des manifestants.

Annonce « dans quelques jours »

Il avait également indiqué que l’équivalent de 113 millions de dollars, en devise américaine, euros et livres soudanaises, avaient été saisis dans la résidence de M. Béchir. Le président déchu a été arrêté puis emprisonné après sa destitution par l’armée sous la pression de la rue.

Et le nouveau procureur général, al-Walid Sayyed Ahmed, en place depuis quelques jours à peine, a de son côté annoncé des dispositions pour contrôler les biens des hauts responsables du régime de M. Béchir et de leurs familles.

Mais ces annonces n’ont pas apaisé la foule qui campe depuis plus de deux semaines devant le siège de l’armée pour réclamer un transfert rapide du pouvoir à une autorité civile, seule à leur yeux à même de garantir une véritable transition politique.

L’annonce de la composition d’un Conseil civil censé remplacer le Conseil militaire, qui était attendue dimanche, interviendra « dans quelques jours », a indiqué un porte-parole de la contestation, Madani Abbas Madani.

La contestation au Soudan, déclenchée le 19 décembre après la décision du gouvernement Béchir de tripler le prix du pain, s’est rapidement transformée en contestation inédite contre le président déchu et plus largement du système en place.

Aide financière de Ryad et Abou Dhabi

Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat le 30 juin 1989, Omar el-Béchir a dirigé d’une main de fer un pays miné par des rébellions dans plusieurs régions et est en outre accusé de graves violations des droits humains.

Sur le plan économique, le pays a aussi souffert de l’embargo imposé par les Etats-Unis en 1997, en raison notamment d’un soutien à des groupes jihadistes, et retiré 20 ans plus tard. Le Soudan demeure cependant sur la liste américaine des « pays soutenant le terrorisme. »

Une délégation soudanaise va se rendre à Washington pour discuter d’un retrait du Soudan de cette liste, a déclaré dimanche M. Burhane à la télévision.

Les Etats-Unis avaient salué jeudi les premières mesures prises par les militaires, mais ont aussi appelé à une transition qui réponde davantage aux aspirations démocratiques des Soudanais.

Washington avait également annoncé la venue à Khartoum de la responsable du département d’Etat américain chargée de l’Afrique de l’Est, Makila James, « ce week-end », sans préciser qui elle y rencontrerait. Le général Burhane n’a pas fait de commentaire sur cette visite dans son interview télévisée dimanche.

Ryad et Abou Dhabi ont confirmé dimanche leur soutien au Soudan en annonçant un dépôt de 500 millions de dollars dans la banque centrale soudanaise et une somme de 2,5 milliards destinée à financer les besoins du peuple soudanais en produits alimentaires, médicaments et produits pétroliers, selon l’agence saoudienne officielle SPA, qui n’a pas précisé s’il s’agit de dons ou de prêts.

Dimanche, la valeur de la livre soudanaise s’est fortement renforcée sur le marché noir, s’échangeant à 45 livres pour un dollar contre 72 livres la semaine dernière. Le taux de change officiel est fixé à 47,5 livres pour un dollar.

LES MANIFESTANTS SOMMÉS DE LEVER LES BARRAGES

Les nouveaux dirigeants militaires au Soudan ont sommé lundi les manifestants de démanteler les barrages devant le QG de l’armée dans la capitale Khartoum, les tensions s’amplifiant après la suspension des discussions entre les deux camps.

Craignant un dérapage, des dirigeants africains tiendront mardi au Caire un sommet autour de l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi, président en exercice de l’Union africaine (UA), pour « discuter des moyens les plus appropriés pour (…) contribuer à la stabilité et la paix » au Soudan, selon la présidence égyptienne.

Après la destitution le 11 avril par l’armée du président Omar el-Béchir sous la pression de la rue, les chefs de la contestation populaire et le Conseil militaire de transition qui a pris les commandes, campent sur leurs positions. Les premiers veulent un transfert immédiat du pouvoir à une autorité civile et les seconds refusent de le faire jusqu’à présent.

Mobilisés à l’initiative des meneurs de la protestation, les manifestants, rassemblés jour et nuit devant le siège de l’armée depuis le 6 avril, ont promis « d’intensifier le mouvement » pour obtenir le transfert du pouvoir.

Sur le lieu du sit-in, les Soudanais doivent passer par plusieurs points de contrôle pour accéder aux abords du QG militaire, avec une fouille corporelle et une vérification de sacs par d’autres manifestants, ont constaté les correspondants de l’AFP.

Le Conseil militaire a réclamé le démantèlement des barrages et la « réouverture immédiate des routes pour faciliter la circulation des trains et des autres moyens de transport ».

La veille, son chef, le général Abdel Fattah al-Burhane, a « condamné le blocage de routes et la fouille de personnes sans en avoir l’autorité ». « Cela ne peut plus continuer, la sécurité relève de la responsabilité de l’Etat ».

« Prolongement »

Mais des manifestants sont restés insensibles à ces injonctions.

« Les check-points vont continuer de fonctionner », a déclaré à l’AFP Kawthar Hasaballah, 23 ans, présente devant le QG de l’armée, où une large banderole sur laquelle est écrit « le sit-in se poursuivra jusqu’à la chute du régime » flotte sur un pont tout proche.

« Nous ne bougerons pas », a dit Fai Othmane, une manifestante. Interrogée sur l’appel à démanteler les barrages, elle a expliqué qu’ils étaient destinés à protéger les manifestants. « Il n’y a aucune garantie que le Conseil militaire assure la sécurité des manifestants. On ne peut faire confiance à aucun (responsable) militaire ».

« Je ne pense pas qu’ils (l’armée, ndlr) vont disperser violemment la manifestation », a confié une autre, Mounira Moustafa al-Badawi.

Les tensions se sont exacerbées après la suspension dimanche par les dirigeants de la contestation des discussions tenues ces derniers jours avec les militaires, faute de garanties suffisantes sur un transfert rapide du pouvoir.

Le général Burhane a promis le même jour que l’armée répondrait dans la semaine aux demandes des manifestants.

Mais ces déclarations ont été jugées trop vagues par les meneurs du mouvement qui ont accusé le Conseil militaire d’être « le prolongement » du régime Béchir.

Le chef du NISS au Caire

L’Oumma, première formation de l’opposition, a accusé « des membres du Conseil militaire » de vouloir « recycler le régime renversé », et appelé à confier le pouvoir à l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), qui regroupe les principales formations de la contestation.

L’ALC, qui avait prévu d’annoncer dimanche la formation d’une instance civile, a dit qu’elle le ferait « dans quelques jours ».

Déclenché le 19 décembre pour protester contre la décision du gouvernement de tripler le prix du pain dans un pays à l’économie exsangue, le mouvement populaire s’est rapidement transformé en contestation inédite contre M. Béchir, aujourd’hui déchu et emprisonné, et plus largement contre le système en place.

Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat le 30 juin 1989, M. Béchir a dirigé d’une main de fer un pays miné par des rébellions dans plusieurs régions. La Cour pénale internationale (CPI) a lancé des mandats d’arrêt contre lui pour « crimes de guerre » et « génocide » dans la région du Darfour (ouest).

Enfin, Aboubaker Moustafa, le nouveau chef du Service national de renseignement et de sécurité soudanais (NISS), a rencontré au Caire M. Sissi, qui selon la présidence, a salué les « efforts du Conseil militaire dans la gestion de la situation » et souligné l’importance de « préserver les institutions de l’Etat ».

Le NISS avait été accusé d’avoir mené aux premiers mois de la contestation la répression contre les manifestants ayant fait plus de 60 morts et des centaines de blessés depuis le 19 décembre. Des milliers de personnes ont été emprisonnées.

(avec Afp)

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