vendredi , 6 novembre 2020
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Assassinat d’Habyarimana : La France abandonne l’enquête pour protéger Kagame

Après vingt ans de rebondissements, le parquet de Paris demande l’abandon des poursuites contre des proches du président rwandais Paul Kagame, soupçonnés par la justice française d’être impliqués dans l’attentat de 1994 qui a déclenché le génocide des tutsi.

Le parquet réclame un non-lieu contre les sept protagonistes mis en examen, tous issus du clan de Paul Kagame, estimant que l’enquête n’a pu réunir de « charges suffisantes » à leur encontre, selon son réquisitoire définitif daté du 10 octobre dont a eu connaissance l’AFP.

« Le doute doit profiter à ces derniers », ajoute le parquet. La décision finale sur la tenue ou non d’un procès est désormais entre les mains des juges d’instruction du pôle antiterroriste.

Depuis plus de 20 ans, ce dossier empoisonne les relations entre Paris et Kigali sur fond de débat sur les responsabilités françaises à l’époque du génocide.

« La position du ministère public est inacceptable. Depuis dix ans, le parquet a lâché les juges d’instruction pour des raisons notamment politiques. La preuve en est que ce réquisitoire arrive précisément au moment de la nomination d’une Rwandaise (Louise Mushikiwabo) à la tête de l’organisation de la francophonie », a réagi Philippe Meilhac, avocat de la veuve de l’ex-président, Agathe Habyarimana, joint par l’AFP.

« Cette étape tend à clore 20 années d’errements (…). Nos pensées vont en ce moment à ceux qui ont toujours affirmé leur innocence », ont déclaré à l’AFP les avocats des sept mis en examen, Bernard Maingain et Léon-Lef Forster.

Le 6 avril 1994, l’avion de Juvénal Habyarimana, un Hutu, avait été abattu en phase d’atterrissage à Kigali par au moins un missile. Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide qui fit 800.000 morts selon l’ONU, principalement dans la minorité tutsi.

Quête complexe

Qui en sont les auteurs ? La question est au coeur de controverses historiques et d’une quête judiciaire complexe.

Pour justifier sa position, le parquet souligne des « incertitudes (…) nombreuses » et « l’absence d’éléments matériellement incontestables » ajoutant que les charges principales s’appuient surtout sur des témoignages, notamment indirects.

Au Rwanda, une commission d’enquête avait imputé en 2009 la responsabilité de l’attentat aux extrémistes hutu qui se seraient ainsi débarrassés d’un président jugé trop modéré.

En France, une information judiciaire avait été ouverte en 1998 après la plainte des familles de l’équipage, composé de Français, et le premier juge saisi, Jean-Louis Bruguière, avait privilégié une hypothèse opposée: celle d’un attentat commis par des soldats de l’ex-rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par Paul Kagame, devenu président en 2000.

Les relations diplomatiques entre les deux pays avaient été rompues quand le juge avait émis en 2006 neuf mandats d’arrêts contre des proches de Kagame. Elles s’étaient renouées trois ans plus tard après une première mise en examen en France, suivie de six autres, organisées diplomatiquement en 2010 au Burundi voisin.

La thèse du juge Bruguière avait néanmoins été fragilisée en 2012 par un rapport d’experts en balistique, qui s’étaient rendus sur place avec les juges ayant repris le dossier, Marc Trévidic et Nathalie Poux. Leurs conclusions désignaient le camp de Kanombe, alors aux mains de la garde présidentielle d’Habyarimana, comme zone de tir probable.

Closes une première fois, les investigations avaient été relancées en 2016 mais se sont heurtées à une série d’obstacles avant d’être définitivement bouclées en décembre 2017.

Les juges ont ainsi tenté en vain d’entendre un dissident rwandais, Faustin Kayumba Nyamwasa, réfugié en Afrique du Sud et visé lui-même par un mandat d’arrêt. Ancien membre du premier cercle du clan Kagame, il appuyait les accusations contre ses anciens compagnons du FPR.

Autre revers subi par la justice française : la défense de deux des sept membres de l’entourage de Kagame mis en examen –l’actuel ministre rwandais de la Défense, le général James Kabarebe, et le possible tireur d’un des missiles, Franck Nziza– a refusé en décembre une confrontation avec un nouveau témoin affirmant avoir eu la garde des missiles au QG du FPR.Au printemps, les parties civiles avaient produit un rapport secret de 2003 du Tribunal pénal international pour le Rwanda qui attribuait la responsabilité de l’attaque au clan Kagame, mais le juge Jean-Marc Herbaut, estimant que cette piste avait été suffisamment documentée, avait refusé de relancer l’enquête.

(avec Afp)

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