samedi , 7 novembre 2020
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Génocide des rohingyas : Quid d’Aung San Suu Kyi ?

Des enquêteurs de l’ONU ont demandé lundi la démission du chef de l’armée birmane et sa traduction devant la justice internationale pour « génocide », « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » à l’encontre des musulmans rohingyas. D’après les enquêteurs de l’ONU, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix, « n’a pas utilisé sa position de facto de chef du gouvernement, ni son autorité morale, pour contrer ou empêcher le déroulement des événements dans l’Etat Rakhine ». « Par leurs actes et leurs omissions, les autorités civiles ont contribué à la commission de crimes atroces », ont-ils estimé. Il est fort peu probable que la lauréate du Prix Nobel de la Paix, qui dirige de facto le gouvernement birman, soit poursuivie, malgré les critiques internationales dont elle fait l’objet en raison de son silence sur le drame. A la tête du gouvernement civil birman, elle n’a aucun contrôle sur les ministères clefs de la Défense et de l’Intérieur, qui restent sous la houlette directe de la hiérarchie militaire.

De son côté, Facebook, critiqué par les enquêteurs de l’ONU pour avoir permis que des discours haineux se propagent, a annoncé avoir fermé la page du commandant suprême de l’armée, le général Min Aung Hlaing, pour « violations des droits de l’homme ».

En 2017, plus de 700.000 musulmans rohingyas ont fui vers le Bangladesh après une offensive de l’armée birmane lancée en représailles d’attaques de postes-frontières par des rebelles rohingyas. Cette répression a été qualifiée par l’ONU de « nettoyage ethnique », une accusation rejetée par les autorités birmanes.

La Mission d’établissement des faits de l’ONU sur la Birmanie, créée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en mars 2017, a estimé lundi que « les principaux généraux de Birmanie, y compris le commandant en chef Min Aung Hlaing, doivent faire l’objet d’enquêtes et de poursuites pour génocide dans le nord de l’Etat Rakhine, ainsi que pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre dans les Etats Rakhine, Kachin et Shan ».

Dans un rapport, la mission onusienne demande au Conseil de sécurité de faire appel à la Cour pénale internationale ou d’établir un tribunal international ad hoc et appelle à des sanctions ciblées contre les auteurs de crimes et à un embargo sur les armes.

Si le Conseil de sécurité de l’ONU a plusieurs fois appelé la Birmanie à l’arrêt des opérations militaires et au retour en toute sécurité des Rohingyas, ses initiatives restent entravées par la Chine, premier soutien de la Birmanie et membre permanent du Conseil, disposant donc d’un droit de veto.

« Les Rohingyas sont dans une situation continue d’oppression sévère, systémique et institutionnalisée de la naissance à la mort », a déclaré le président de la mission de l’ONU, l’Indonésien Marzuki Darusman, en conférence de presse, appelant le chef de l’armée birmane à démissionner « immédiatement ».

« Nous avons examiné la période depuis 2011. Les violations identifiées au cours de cette période font partie d’une conduite militaire abusive qui date depuis au moins un demi-siècle », a ajouté pour sa part l’enquêteur australien Christopher Sidoti.

Selon leur rapport, « il existe suffisamment d’informations pour justifier (…) la poursuite des hauts responsables de la chaîne de commandement » de l’armée birmane.

Aung San Suu Kyi

D’après les enquêteurs de l’ONU, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix, « n’a pas utilisé sa position de facto de chef du gouvernement, ni son autorité morale, pour contrer ou empêcher le déroulement des événements dans l’Etat Rakhine ».

« Par leurs actes et leurs omissions, les autorités civiles ont contribué à la commission de crimes atroces », ont-ils estimé.

Ceux-ci ont néanmoins fait valoir que les autorités civiles avaient « peu de marge de manoeuvre » pour contrôler les actions de l’armée et que « rien n’indique non plus qu’elles ont participé directement à la planification ou à la mise en oeuvre d’opérations de sécurité ou qu’elles faisaient partie de la structure de commandement ».

La mission de l’ONU, qui n’a pas été autorisée à se rendre en Birmanie, a interrogé 875 victimes et témoins et s’est aussi servie d’images satellite.

Selon le rapport, « les crimes commis dans l’Etat Rakhine, et la manière dont ils ont été perpétrés, sont de nature, de gravité et de portée similaires à ceux qui ont permis d’établir l’intention génocidaire dans d’autres contextes ».

Facebook

Le rapport détaille une longue liste de crimes contre l’humanité qui auraient été commis à l’encontre des Rohingyas dans l’Etat Rakhine et contre d’autres minorités ethniques dans les Etats Kachin et Shan: assassinat, emprisonnement, disparition, torture, viol, esclavage sexuel, persécution et asservissement. Les experts évoquent également « l’extermination et la déportation », deux autres crimes contre l’humanité, dans l’Etat Rakhine.

Les « tactiques » de l’armée birmane sont « systématiquement et excessivement disproportionnées par rapport aux menaces réelles à la sécurité, en particulier dans l’Etat Rakhine, mais aussi dans le nord de la Birmanie », selon le rapport.

Outre les chefs de l’armée, la mission de l’ONU a dressé une liste confidentielle plus longue d’individus présumés coupables pour que les tribunaux puissent s’en emparer.

Les enquêteurs ont également accusé la police et des groupes armés d’avoir participé aux violences.

Concernant Facebook, ils ont pointé son rôle comme « instrument utile pour ceux qui cherchent à répandre la haine ».

« Bien qu’elle se soit améliorée au cours des derniers mois, la réponse de Facebook a été lente et inefficace », pointe le rapport.

Peu après la publication du document de l’ONU, Facebook a annoncé qu’il « interdisait de Facebook 20 personnes et organisations birmanes », y compris le chef de l’armée et l’importante chaîne de télévision militaire Myawady.

ROHINGYAS : LES MILITAIRES BIRMANS SERONT UN JOUR JUGÉS ?

Les enquêteurs de l’ONU ont demandé lundi que le chef de l’armée birmane soit traduit devant la justice internationale pour le « génocide » des musulmans rohingyas. Concrètement, comment cela peut-il se faire ?

Quel est le processus légal le plus évident ?

A ce jour, le rapport des experts de l’ONU est celui qui rapproche le plus les responsables birmans de comptes à rendre pour les accusations de viols, meurtres de masse et incendies de villages ayant conduit plus de 700.000 Rohingyas à fuir au Bangladesh voisin depuis août 2017.

L’option A est donc la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye. Mais pour qu’elle soit chargée de l’affaire, cela suppose que le Conseil de sécurité de l’ONU le demande, via une résolution.

Et c’est là qu’apparaît le premier obstacle : la Chine, qui qualifie la crise rohingya d’affaire intérieure de la Birmanie, mettra son veto selon toute probabilité. La Russie, où le chef de l’armée birmane, le général Min Aung Hlaing, était en visite la semaine dernière, risque de faire de même.

« Comment résoudre ce problème ? Par la négociation et le dialogue », a insisté mardi la porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, interrogée sur le rapport des experts de l’ONU rendu public la veille.

Le Conseil de Sécurité doit justement se pencher sur la situation en Birmanie mardi soir à New York.

Quelles autres options ?

Option B : en cas d’échec des tentatives de faire parvenir le dossier à la CPI à cause d’un blocage au Conseil de sécurité, un tribunal international ad hoc pourrait être créé, comme pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie.

Option C : en avril, la procureure générale de la CPI Fatou Bensouda a, de façon tout à fait inédite, demandé aux juges s’ils accepteraient d’étendre leur juridiction à la Birmanie, même si ce pays n’est pas membre de la Cour pénale internationale.

Le mécanisme serait rendu possible par le fait que le Bangladesh (qui subit aussi cette crise, bien malgré lui, ayant été submergé par l’afflux de réfugiés) est membre de la Cour pénale internationale.

Si les juges de la Cour donnent leur feu vert à cette idée, la procureure pourrait alors ouvrir une enquête préliminaire, du fait que le Bangladesh est membre de la CPI. Cela pourrait conduire à des mandats d’arrêt contre des responsables birmans.

Ce serait entrer en « territoire inconnu », analyse Kingsley Abbott, un représentant, basé à Bangkok, de la Commission internationale des juristes (CIJ).

Qui pourrait être poursuivi ?

La CPI poursuit des individus, pas des pays. Le rapport de l’ONU diffusé lundi mentionne nommément six hauts responsables de l’armée birmane, dont son chef, le général Min Aung Hlaing.

Les enquêteurs de l’ONU invoquent leur responsabilité en raison du commandement direct qu’ils exercent sur les troupes ayant réalisé les opérations de « nettoyage ethnique » en Etat Rakhine, une région du nord-ouest de la Birmanie où vivaient jusqu’alors la majorité des Rohingyas.

Mais la CPI est limitée par le fait qu’elle ne peut forcer ni la Birmanie ni aucun autre pays où se rendraient ces responsables à les expulser.

Quid d’Aung San Suu Kyi ?

Il est fort peu probable que la lauréate du Prix Nobel de la Paix, qui dirige de facto le gouvernement birman, soit poursuivie, malgré les critiques internationales dont elle fait l’objet en raison de son silence sur le drame.

A la tête du gouvernement civil birman, elle n’a aucun contrôle sur les ministères clefs de la Défense et de l’Intérieur, qui restent sous la houlette directe de la hiérarchie militaire.

Malgré l’autodissolution officielle en 2011 de la junte militaire au pouvoir pendant des décennies en Birmanie, l’armée reste un acteur politique de premier plan, menant la danse notamment en Etat Rakhine, théâtre du drame rohingya, et dans les autres régions secouées par des guérillas ethniques.

Mais les enquêteurs de l’ONU ont mis en exergue le fait qu’elle n’a pas utilisé son aura d' »autorité morale » dans son pays. Son gouvernement est aussi accusé d’avoir nié tout problème, d’avoir empêché l’enquête de l’ONU et d’avoir propagé des mensonges.

« A travers leurs actes et omissions, les autorités civiles ont contribué aux atrocités », dit le rapport de l’ONU.

LA BIRMANIE REJETTE LE RAPPORT DE L’ONU ACCUSANT SON ARMÉE DE « GÉNOCIDE »

La Birmanie a rejeté mercredi le rapport des enquêteurs de l’ONU accusant son armée de « génocide » à l’encontre des musulmans rohingyas, défiant la communauté internationale au lendemain d’une réunion du Conseil de sécurité marqué par un vibrant plaidoyer de l’actrice Cate Blanchett.

« J’ai entendu les récits déchirants, les récits de torture, de femmes brutalement violées, de personnes dont les proches ont été tués sous leurs yeux. Des enfants qui ont vu leurs grands-parents enfermés dans des maisons ensuite incendiées », a déclaré, devant le Conseil de sécurité de l’ONU à New York, l’actrice australienne Cate Blanchett, ambassadrice de bonne volonté du Haut commissariat aux réfugiés qui s’est rendue dans la région en mars.

La Birmanie a rejeté mercredi le rapport des enquêteurs de l’ONU accusant son armée de « génocide » à l’encontre des musulmans rohingyas, défiant la communauté internationale au lendemain d’une réunion du Conseil de sécurité marqué par un vibrant plaidoyer de l’actrice Cate Blanchett.

Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, y ont soutenu l’idée de poursuites judiciaires internationales contre les responsables militaires birmans, après la publication lundi du rapport du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU.

« J’ai entendu les récits déchirants, les récits de torture, de femmes brutalement violées, de personnes dont les proches ont été tués sous leurs yeux. Des enfants qui ont vu leurs grands-parents enfermés dans des maisons ensuite incendiées », a déclaré, devant le Conseil de sécurité de l’ONU à New York, l’actrice australienne Cate Blanchett, ambassadrice de bonne volonté du Haut commissariat aux réfugiés qui s’est rendue dans la région en mars.

Le gouvernement birman, par la voix de son porte-parole Zaw Htay, a lui répondu ne « pas avoir autorisé la MEF (Mission d’établissement des faits de l’ONU) à entrer en Birmanie ».

« C’est pourquoi nous n’acceptons aucune résolution du Conseil des droits de l’Homme », a-t-il poursuivi, dans des propos publiés mercredi par le journal officiel Global New Light of Myanmar.

Le porte-parole a alors appelé à la création d’une « Commission d’enquête indépendante » par la Birmanie pour répondre aux « fausses allégations des agences de l’ONU ».

Selon les enquêteurs de l’ONU, les principaux généraux de Birmanie, y compris le chef de l’armée, Min Aung Hlaing, devraient faire l’objet de poursuites internationales pour « génocide » contre les Rohingyas, dont plus de 700.000 ont fui au Bangladesh après une offensive de l’armée birmane en août 2017 lancée en représailles d’attaques de rebelles rohingyas.

Le gouvernement civil de la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi s’accroche donc à la ligne qui a été la sienne depuis août 2017: défendre les militaires, force politique puissante avec laquelle l’ancienne dissidente tente de composer depuis son arrivée au pouvoir début 2016.

Aung San Suu Kyi elle-même s’est abstenue jusqu’ici de tout commentaire sur le rapport des experts de l’ONU publié lundi, qui déplore qu’elle n’ait pas utilisé son « autorité morale » dans la crise et que son gouvernement ait nié tout problème et empêché l’enquête de l’ONU.

Quelle suite ?

Le Conseil de sécurité est néanmoins resté vague sur la suite à donner aux accusations de « génocide » de ce rapport onusien.

Dans leur rapport, les experts de l’ONU appellent le Conseil de sécurité à saisir la Cour pénale internationale par le biais d’une résolution ou à créer un tribunal international ad hoc, comme pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie.

Mais la probabilité d’une résolution sur le « génocide » rohingya est faible, la Chine et la Russie risquant d’y mettre un veto.

« Les faits de nettoyage ethnique contre les Rohingyas doivent être décrits et entendus », a cependant insisté l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley.

Le porte-parole du gouvernement birman, Zaw Htay, s’est également insurgé contre la décision de Facebook – critiqué par les enquêteurs de l’ONU pour avoir permis la propagation de discours haineux – de fermer la page du général Min Aung Hlaing, pour « violations des droits de l’homme ». Zaw Htay a estimé que cette décision du géant américain nuisait aux efforts du gouvernement birman pour promouvoir la « réconciliation nationale ».

A New York, l’ambassadeur birman auprès de l’ONU, Hau Do Suan, a lui aussi rejeté les conclusions du rapport onusien et mis en cause l’impartialité des enquêteurs. « Le moment choisi pour rendre public de manière hâtive ce rapport à la veille de la réunion du Conseil de sécurité soulève de sérieuses questions », alors que le document était attendu le 18 septembre, a-t-il relevé.

(Afp)

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