La Cour pénale internationale (CPI) a annulé la condamnation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité de l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba.
Bemba a été reconnu coupable en 2016 des crimes commis en République centrafricaine (RCA) en 2002-2003. Il a été accusé de ne pas avoir empêché ses rebelles de tuer et de violer les gens. Mais un juge a maintenant dit qu’il ne peut pas être tenu responsable de leurs actions. Christine Van den Wijngaert a également déclaré que les juges dans l’affaire de 2016 avaient omis de prendre en compte ses tentatives d’arrêter les crimes une fois qu’il avait été mis au courant qu’ils avaient lieu.
La décision de renverser la peine de 18 ans a été accueillie par les encouragements de ses partisans dans la galerie.
Mais le groupe des droits de l’homme Amnesty International a déclaré que c’était un « coup dur » pour les victimes d’une « horrible campagne de viol et de violence sexuelle », appelant les autorités à redoubler d’efforts pour poursuivre ceux qui l’avaient perpétré. Plus de 5 000 survivants ont pris part aux procédures contre Bemba, a déclaré le chef de la justice internationale d’Amnesty International, Solomon Sacco. « Pour ces personnes courageuses, ainsi que des milliers d’autres victimes en RCA, la poursuite de la vérité, de la justice et des réparations se poursuivra », a-t-il ajouté.
La condamnation de Bemba en 2016 a marqué plusieurs jalons pour la CPI. C’était la première fois que la cour se concentrait sur le viol comme arme de guerre, et la première fois qu’un suspect avait été condamné pour des crimes commis par d’autres sous son commandement. Le tribunal avait entendu comment Bemba avait envoyé plus de 1 000 combattants en RCA en 2002 pour aider le président Ange Félix Patassé à mettre fin à une tentative de coup d’Etat. Mais ses troupes ont commis des actes de violence extrême contre des civils – des crimes dont les juges d’origine ont dit que Bemba a été informé mais n’a rien fait pour arrêter.
Mais le juge d’appel Van den Wyngaert a déclaré qu’ils avaient « ignoré des preuves testimoniales significatives selon lesquelles la capacité de Bemba à enquêter et à punir les crimes en RCA était limitée ». Les juges d’appel ont également déclaré qu’il avait été condamné «à tort» pour des actes criminels précis.
Bemba, qui a déjà passé près d’une décennie en prison, ne sera pas libéré immédiatement après avoir perdu un appel séparé contre une condamnation pour corruption de témoins lors de son procès principal.
La RCA, quant à elle, est restée dans un état d’agitation presque constant. Le Comité international de la Croix-Rouge a averti en janvier que la moitié de sa population avait besoin d’aide humanitaire, alors que les Nations Unies avaient une force de maintien de la paix dans le pays depuis 2013.
Selon un rapport de Human Rights Watch d’octobre 2017, les combattants du dernier conflit, qui dure depuis plus de cinq ans, ont continué à utiliser la violence sexuelle pour «terroriser les femmes et les enfants».
Devra-t-on s’attendre à un autre jeu sur la scène politique nationale avec le retour de cette figure de proue de l’Opposition et chef du Mouvement de libération du Congo ? Quelles seront ses priorités ? Les questions s’enchaînent dans un pays qui négocie dans la douleur le dernier virage du processus électoral destiné à porter un nouveau locataire au Palais de la nation après les deux mandats constitutionnels consommés de Joseph Kabila, actuel chef de l’Etat. D’ores et déjà, des voix se sont levées sur l’échiquier international pour que la libération de l’ancien vice-président congolais lui permette de jouer un rôle politique éminemment important en cette période de crise politique exacerbée par les atermoiements funestes de la majorité au pouvoir.
Avec la remise en liberté de Jean-Pierre Bemba, des cartes vont être redistribuées au sein de la classe politique congolaise. Et sans doute qu’il lui sera facile de porter la casquette d’héros vivant de la lutte contre les excès d’un pouvoir ivre, avec à la clé la jouissance de la sympathie de tout un peuple pour sa longue détention. Est-ce pour dire que le leader du MLC, ex-candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2006, va s’imposer comme chef de l’Opposition face à Joseph Kabila ? La question demeure entière face à une scène politique recomposée en son absence. Des figures emblématiques de l’Opposition se sont regroupées en plateformes pour exiger l’alternance démocratique. On y trouve, entre autres, Moïse Katumbi, Vital Kamerhe, Félix Tshisekedi, Adolphe Muzito, etc., seraient-ils prêts à s’effacer au profit de Jean-Pierre Bemba ? Là, c’est une autre question.
De toute façon, la seule libération de Jean-Pierre Bemba fait de lui une pièce maîtresse pour remodeler le visage politique congolais. C’est le début d’une nouvelle ère.
Le porte-parole du Gouvernement de RDC persiste et signe : « Nous n’avons pas pour habitude de commenter les décisions de justice, c’est notre ligne de conduite compte tenu de l’indépendance des cours et tribunaux. Il n’est pas de bonne déontologie pour commenter une décision de justice dans un sens ou dans un autre. Nous nous interdisons cela que ce soit pour la justice internationale ou nationale, mais nous prenons acte d’autant plus que ce n’est pas un dossier qui nous concerne, ce sont les affaires qui ont trait à la vie de la République centrafricaine, pour toutes ces raisons là nous constatons comme tout le monde que la décision a été prise. Une bonne nouvelle ou mauvaise nouvelle, je ne vous le dirai pas par déontologie gouvernementale parce que ça serait entrer dans un processus de jugement de valeur à l’égard d’une décision de justice », a déclaré Lambert Mende Omalanga depuis Lubumbashi (Haut-Katanga).
CETTE DECISION PEUT-ELLE FAIRE L’OBJET D’UN APPEL ? Non. Il n’est pas possible de faire appel contre un jugement de la Chambre d’appel. L’acquittement est donc définitif.
JEAN-PIERRE BEMBA PEUT-IL DEMANDER UNE INDEMNISATION POUR LE TEMPS PASSE EN DETENTION ? Selon l’article 85 (3) du Statut de Rome, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la Cour constate qu’une erreur judiciaire grave et manifeste a été commise, qu’elle peut, à sa discrétion, accorder une indemnité à un accusé acquitté après sa détention. Si une demande à cet effet est présentée, il appartiendra à la Cour de vérifier ces critères et de décider, à sa discrétion, d’ordonner ou non l’indemnisation du temps passé en détention.
QUI EST JEAN-PIERRE BEMBA GOMBO ?
Jean-Pierre Bemba Gombo est un ancien vice-président de la République Démocratique du Congo (RDC). C’est le chef du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC), parti politique congolais qui a émergé à partir d’un groupe de miliciens du même nom. Il a depuis longtemps une réputation d’homme d’affaires très prospère. Jean-Pierre Bemba a été condamné par la justice belge pour « traite d’êtres humains », puis par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour ses exactions et celles de ses troupes en Centrafrique. Il n’a jamais été jugé pour ses exactions en RDC. Il a été arrêté en 2008 en réponse à un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI), où il est accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre présumés relatifs aux atrocités commises par le MLC en République Centrafricaine.
M. Bemba a un diplôme en gestion des affaires acquis en Belgique et a servi comme assistant personnel du président Mobutu Sese Seko du Zaïre (ancien nom de la République Démocratique du Congo). Peu de temps après le remplacement de Mobutu par Laurent Kabila en tant que président du pays en 1997, le Rwanda et l’Ouganda ont cherché à le renverser. En 1998, l’Ouganda a contribué à la fondation par M. Bemba du MLC, l’un des groupes rebelles lancés contre Kabila à partir de l’est de la RDC. Le MLC a rapidement réussi à établir son contrôle sur une grande partie du nord de la RDC.
En 2002, le président Ange-Félix Patassé de la République Centrafricaine voisine a invité le MLC dans son pays pour aider à réprimer une tentative de coup d’Etat.
En 2003, une cour belge le condamnait par contumace à un an de prison ferme pour « traite d’êtres humains ».
En RDC, Laurent Kabila a été assassiné en 2001 et son fils Joseph Kabila est devenu président. Aux termes d’un accord de paix signé en 2003, M. Bemba a pris fonction comme l’un des quatre vice-présidents du pays. De juillet 2003 à décembre 2006, il était vice-président chargé des finances. M. Bemba s’est présenté contre Joseph Kabila aux élections présidentielles de 2006. M. Kabila a remporté le scrutin après ballottage contre M. Bemba, qui a contesté l’équité du vote. En janvier 2007, M. Bemba a été élu au Sénat de la RDC.
En mars 2007, après sa défaite face à Joseph Kabila lors de l’élection présidentielle d’octobre 2006, Jean-Pierre Bemba s’était engagé à mener une « opposition républicaine » au gouvernement de celui-ci. Son refus de fondre sa garde personnelle au sein de l’armée gouvernementale, au début 2007, l’a conduit à un affrontement direct avec le pouvoir. Une altercation avec la garde rapprochée de Bemba a conduit le 22 mars 2007 à des combats aux environs de la résidence de Bemba (promenade de la Raquette à Gombe) et de ses bureaux (milieu du boulevard du 30 juin). Les gardes de Bemba n’avaient pas obéi à un ultimatum dont le terme avait été fixé au 15 mars d’accepter leur incorporation à l’armée régulière, craignant pour la sécurité de Jean-Pierre Bemba. Bemba appelle ensuite au cessez-le-feu et trouve refuge à l’ambassade d’Afrique du Sud. Avec la poursuite des combats le 23 mars, un mandat d’arrêt a été lancé contre Jean-Pierre Bemba désormais accusé de haute trahison. Ces affrontements ont fait plus de 200 morts à Kinshasa. Jean-Pierre Bemba a quitté la République démocratique du Congo le 11 avril 2007 pour se rendre au Portugal, officiellement pour y soigner une vieille blessure à la jambe. Il est resté en Europe, donnant comme raison des inquiétudes qu’il nourrissait pour sa sécurité en RDC, où il a été accusé de trahison.
Le 24 mai 2008, il a été arrêté en Belgique à la suite d’un mandat de la CPI relatif aux atrocités qui auraient été commises par le MLC en République Centrafricaine. Il est ensuite transféré à La Haye le 3 juillet 2008. Le 4 juillet 2008 à 15 heures, Bemba comparaît pour la première fois devant les juges de la chambre préliminaire présidée par la juge présidente malienne Fatoumata Dembélé Diarra.
Le procès de Bemba a débuté à La Haye le 22 novembre 2010 et s’est terminé le 13 novembre 2014. En attente de sa sentence, il est aussi accusé et jugé dans un deuxième procès pour subornation de témoin dans le cadre de son procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le 21 mars 2016, après avoir siégé 330 jours et auditionné 77 témoins, la CPI le déclare coupable de crimes de guerre (meurtre, viol et pillage) et crimes contre l’humanité (meurtres et viols). D’après la CPI, il « savait que les forces placées sous son autorité et son contrôle effectifs commettaient ou allaient commettre les crimes visés par les charges ». La Cour pénale internationale condamne le 21 juin 2016 l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba à 18 années de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il devient la personnalité la plus haut placée à être condamnée par la CPI jusqu’à présent.
Le 28 septembre 2016, Jean-Pierre Bemba saisit la Chambre d’appel de la CPI d’un recours contre sa condamnation à 18 ans d’emprisonnement, citant de nombreuses erreurs de procédure et de droit dans le jugement, et alléguant des violations au droit à un procès équitable.
En octobre 2016, Bemba est jugé coupable, avec deux de ses avocats et deux autres personnes, pour subornation de témoin. Ils ont influencé ou acheté 14 témoins lors du procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En mars 2017, Bemba est condamné à un an de prison ferme et 300 000 euros d’amende. Le 4 mai 2017, il dépose un recours contre cette condamnation mais sa culpabilité est confirmée en appel en mars 2018. La Chambre d’appel considère cependant que les sanctions sont trop faibles et demande à la CPI de les revoir.
Le 08 juin 2018, il est acquitté après que sa condamnation en première instance à 18 ans de prison pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » en Centrafrique est annulée en appel devant la Cour pénale internationale.