samedi , 7 novembre 2020
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Election Présidentielle : C’est la finale au Liberia

Enfant des bidonvilles de Monrovia devenu star planétaire du foot dans les années 1990, George Weah se rapproche du rêve de sa seconde vie: être élu président du Liberia, pays traumatisé par la guerre civile, qu’il entend réconcilier avec lui-même. Il affronte le vice-président libérien Joseph Boakai, perçu au départ comme l’héritier naturel de la présidente Ellen Johnson Sirleaf, Joseph Boakai, 73 ans, a pris pendant la campagne ses distances avec la Prix Nobel de la paix 2011… qui de son côté ne l’a pas soutenu.

A 51 ans, l’ex-attaquant vedette du PSG et du Milan AC se retrouve de nouveau « en finale » de l’élection présidentielle, après être arrivé très nettement en tête du scrutin du 10 octobre dans ce petit pays anglophone d’Afrique de l’Ouest, l’un des plus pauvres du monde.

L’ancien avant-centre de génie affronte mardi le vice-président Joseph Boakai lors d’un second tour programmé en novembre mais repoussé au lendemain de Noël par des recours introduits par ses adversaires.

Seul Africain à avoir remporté le Ballon d’or, en 1995, Weah était largement absent du pays pendant la guerre civile qui a fait quelque 250.000 morts entre 1989 et 2003.

Entré en politique à la fin du conflit, il a été battu au second tour de la présidentielle de 2005 par Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue chef d’Etat en Afrique, puis comme candidat à la vice-présidence en 2011.

Son parti criera alors en vain à la fraude.

Cette fois, alors que son adversaire Joseph Boakai multipliait les procédures pour dénoncer les « fraudes et irrégularités » ayant selon lui entaché le premier tour, « Mister George » a appelé ses partisans à la patience et au calme.

Et il a effectué samedi une démonstration de force en rassemblant des dizaines de milliers de partisans dans le plus grand stade du pays à Monrovia. « Je sais que (Joseph) Boakai ne peut pas me battre. J’ai le peuple avec moi », a-t-il affirmé à l’AFP.

Quinze ans après avoir raccroché les crampons, il assure avoir « gagné en expérience » sur le terrain politique et appris de ses échecs.

En décembre 2014, il remporte son premier mandat en devenant sénateur, distançant très largement l’un des fils de Mme Sirleaf.

« Personne ne devrait avoir peur du changement. Regardez ma vie: je suis passé de footballeur à homme politique », a-t-il lancé pendant la campagne. « Vous pouvez vous aussi être cette personne. Nous sommes pareils », a ajouté l’ex-star du ballon rond, élevé par sa grand-mère à Gibraltar, un bidonville de Monrovia.

Maison brûlée

A ses critiques qui jugent son programme trop vague et pointent son absentéisme au Sénat, il rétorque par son bilan en matière de santé et d’éducation, la proximité qu’il cultive avec la population et des promesses. « Je vais m’assurer que nos hôpitaux soient équipés, que nos médecins et nos infirmières soient formés et qu’ils soient encouragés à travailler ».

Weah a choisi comme colistière Jewel Howard-Taylor, l’ex-épouse de l’ancien chef de guerre et président Charles Taylor (1997-2003), une sénatrice respectée.

Mais George Weah, tout en affirmant que « tout le monde était l’ami de Charles Taylor », le répète: il n’entretient « pas de contact » avec l’ancien président, condamné en 2012 par la justice internationale à 50 ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre en Sierra Leone voisine.

Pendant la guerre civile, Weah avait plaidé pour la paix au Liberia, appelant l’ONU à sauver son pays. En rétorsion, des rebelles avaient brûlé sa maison de Monrovia et pris en otage deux de ses cousins.

Du Tonnerre au Rocher

Membre de l’ethnie kru, une des principales du Liberia, et ne faisant donc pas partie le l’élite descendant d’anciens esclaves américains qui dominent traditionnellement la vie politique, George Weah a vu sa vie basculer une première fois en 1988, à l’âge de 22 ans, grâce à Arsène Wenger.

Alors entraîneur de Monaco, le tacticien français l’avait déniché au Tonnerre Yaoundé, au Cameroun, et fait venir au pied du Rocher monégasque.

Pendant 14 ans, le solide attaquant allait jouer dans les plus grands clubs européens — Paris SG et Milan AC, à l’apogée de sa carrière, puis Chelsea, Manchester City, Marseille –, amassant une fortune considérable.

Mais il a gardé ses attaches dans la banlieue de Monrovia, où il tape encore le ballon avec des amis.

1. SON RIVAL : LE VICE-PRÉSIDENT LIBÉRIEN JOSEPH BOAKAI

Le vice-président libérien Joseph Boakai, après avoir contesté pendant des semaines les résultats du premier tour de la présidentielle, joue son va-tout mardi lors du second, où il affronte l’ex-star du foot George Weah.

« Très confiant » de l’emporter, il n’est pourtant parvenu à rassembler qu’une centaine de ses partisans dimanche soir à Monrovia, au lendemain d’un meeting ayant réunis des dizaines de milliers de supporters de George Weah dans le plus grand stade du pays.

Perçu au départ comme l’héritier naturel de la présidente Ellen Johnson Sirleaf, Joseph Boakai, 73 ans, a pris pendant la campagne ses distances avec la Prix Nobel de la paix 2011… qui de son côté ne l’a pas soutenu.

« Sleepy Joe » (Joe le dormeur), comme on le surnomme parfois pour sa propension à l’assoupissement pendant des cérémonies publiques, avait pourtant été élu avec elle sur un « ticket » en 2005, puis réélu en 2011.

En réalité, les commentateurs politiques estiment que M. Boakai lui-même a cherché à se démarquer de la partie la plus contestée du bilan de l’administration sortante, notamment les difficultés économiques vécues par la grande majorité des Libériens et les accusations de corruption, voire de népotisme.

« Avec toutes nos ressources, notre potentiel agricole et minier, nous ne devrions pas être dépendants de l’aide étrangère », a-t-il asséné.

Après avoir accusé 10 points de retard sur George Weah lors du premier tour, le 10 octobre, Joseph Boakai a concentré son action sur le volet juridique pendant des semaines.

Dénonçant des « fraudes et irrégularités » lors des opérations de vote, il a soutenu jusqu’au bout les recours du candidat arrivé en troisième position, Charles Brumskine, devant la Commission électorale nationale (NEC) puis devant la Cour suprême.

Ces procédures ont entraîné le report, du 7 novembre au 26 décembre, du second tour du scrutin. Mais la dernière tentative du parti de Joseph Boakai de repousser à 2018 la tenue de l’élection a été rejetée, obligeant le candidat à retourner sur le terrain politique à quelques jours du scrutin.

S’exprimant lentement, gardant souvent les yeux mi-clos, il a mis en garde la jeunesse contre « l’erreur » que constituerait un vote pour George Weah, affirmant que l’ancien joueur devenu sénateur n’avait « jamais levé la main pour prendre la parole » lorsqu’il présidait une séance du Sénat. « C’est qu’il dormait », a répliqué l’ex-attaquant du PSG.

Issu, comme George Weah, de la population « autochtone », et non de l’élite « américano-libérienne » descendante d’esclaves affranchis qui domine le pays depuis sa création, il parle, outre l’anglais, deux langues locales, le kissi et le mende.

Originaire d’un village reculé de la province de Lofa (nord), frontalière de la Guinée et souvent présentée comme le « grenier à blé du pays », il a été ministre de l’Agriculture de 1983 à 1985 sous Samuel Doe, à ce jour le seul président à ne pas appartenir à la minorité « américano-libérienne ».

Des routes, des routes

En réponse aux interrogations sur ce qu’il pourrait apporter de neuf, après douze ans au pouvoir, il s’est comparé pendant un débat entre candidats pour le premier tour à « une voiture de course laissée au garage », qui ne peut donner toute sa mesure que sur la piste.

L’un de ses adversaires lui avait fait remarquer qu' »après 12 ans au garage sans bouger, les pièces d’une voiture de course vieillissent, rouillent et ne fonctionnent plus », la rendant « incapable de rivaliser avec les modèles plus récents ».

Mais Joseph Boakai entend montrer à tous qu’il n’est pas encore bon pour la casse et peut perpétuer pour un nouveau mandat de six ans le règne du Unity Party (UP, Parti de l’unité).

« Des routes, des routes, des routes », martèle celui qui se décrit comme un homme d’origine modeste désireux de « rendre au pays ce qu’il lui a donné » et a axé son programme sur les réseaux de transport, pour désenclaver l’ensemble des régions.

Titulaire d’un diplôme de gestion, il est marié depuis 45 ans et père de quatre enfants.

2. LE LIBERIA PEINE À SE REDRESSER

Le Liberia, où se tient mardi le second tour de l’élection présidentielle, est un pays anglophone d’Afrique de l’Ouest meurtri par quatorze ans de guerre civile, puis par l’épidémie d’Ebola dont il peine à se redresser.

Sorti en tête du premier tour le 10 octobre, l’ex-star du football et sénateur George Weah (38,4% des voix) dispute la succession de la présidente Ellen Johnson Sirleaf, qui ne peut se représenter, au vice-président sortant, Joseph Boakai (28,8%).

Première République d’Afrique noire

C’est la plus ancienne République d’Afrique noire, fondée en 1822 sous l’impulsion des Etats-Unis pour des esclaves noirs affranchis, indépendante depuis 1847. Elle a été dominée par les descendants d’esclaves jusqu’à l’assassinat en 1980 du président William Tolbert lors d’un putsch mené par Samuel Doe, lequel installe un régime de terreur et de corruption.

Samuel Doe, capturé en 1990, en pleine guerre civile, est torturé à mort par les hommes du chef de guerre Prince Johnson, aujourd’hui sénateur et prédicateur. Battu au premier tour (8,2%), il a apporté son soutien à George Weah pour le second.

Les clivages entre descendants d’esclaves et populations autochtones, dont un seul représentant, Samuel Doe, a dirigé le pays, sont encore vivaces. George Weah et Joseph Boakai sont tous les deux des « autochtones ».

Quatorze ans de guerre civile

Le 24 décembre 1989, le Front national patriotique du Liberia (NPFL) de Charles Taylor déclenche une rébellion dans le Nord-Est et s’empare rapidement de la quasi-totalité du territoire. En 1990, une force africaine empêche la prise de Monrovia. La guerre civile, l’une des plus atroces du continent, voit s’affronter sept factions rivales.

En 1997, après un accord de paix, les Libériens élisent Taylor à la présidence.

En 1999, une nouvelle rébellion des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd) éclate au Nord, puis progresse vers Monrovia, soutenue par plusieurs pays voisins. La guerre s’achève par un siège de la capitale en 2003.

Le 11 août 2003, Charles Taylor quitte le pays, sous la pression de la rébellion et de la communauté internationale. Il sera condamné en mai 2012 par la justice internationale à 50 ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre en Sierra Leone voisine.

Les 14 ans de guerre civile quasi ininterrompue ont fait quelque 250.000 morts et des centaines de milliers de déplacés.

En décembre 2016, l’ONU prolonge une dernière fois jusqu’en avril 2018 le mandat de sa mission au Liberia (Minul), en place depuis 2003 et qui a officiellement transmis en juillet aux forces libériennes la responsabilité de la sécurité du pays.

Première femme au pouvoir

Ellen Johnson Sirleaf est devenue en 2005 la première femme élue chef d’Etat en Afrique. Elle a été réélue en novembre 2011, un mois après avoir obtenu le prix Nobel de la paix.

Epidémie d’Ebola

Le Liberia a été l’un des trois pays les plus affectés par l’épidémie d’Ebola qui s’est déclarée en Afrique de l’Ouest en décembre 2013, et a duré plus de deux ans, causant plus de 11.300 morts, dont plus de 4.800 au Liberia. Quelque 28.600 cas ont été recensés, à plus de 99% en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Une économie convalescente

Baigné par l’océan Atlantique, le Liberia comptait 4,7 millions d’habitants en 2017, selon la Banque africaine de développement (BAD).

Malgré d’importantes ressources de minerai de fer, caoutchouc et huile de palme, la majeure partie de la population manque de services de base, comme l’électricité et l’eau courante.

Les deux guerres civiles ont provoqué l’effondrement de l’Etat, dévastant l’économie et les infrastructures industrielles.

Après plusieurs années de forte croissance, avec un sommet à 15,7% en 2007, l’économie a stagné entre 2014 et 2016, affectée par l’épidémie d’Ebola et la chute du prix des matières premières.

[Afp]

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