Jamais depuis un quart de siècle les électeurs n’avaient élu de sénateur démocrate ici, mais Doug Jones, ancien procureur fédéral de 63 ans, a réussi cet exploit au terme d’une campagne fastidieuse de porte-à-porte et de contacts dans la communauté noire.
Le résultat était visible mardi devant les bureaux de vote de Montgomery, Selma et Birmingham, avec de nombreux habitants noirs venus voter « pour le changement ». Selon les sondages de sorties d’urnes, 96% d’entre eux ont voté démocrate. Ils représentaient mardi 29% des votants, alors qu’ils comptaient pour 23% des électeurs inscrits actifs.
Dans les derniers jours de campagne, l’équipe de Doug Jones a déployé sur le terrain le charismatique sénateur noir du New Jersey Corey Booker, l’ancien gouverneur noir du Massachusetts Deval Patrick, ou encore l’ancienne star de basket Charles Barkley. Barack Obama a aussi enregistré un message à destination des électeurs.
Des bénévoles venus du New Jersey, de Floride et d’ailleurs étaient également venus prêter main forte, certaines femmes portant le bonnet rose « pussy hat » de la Marche des femmes organisée à Washington après l’investiture de Donald Trump en janvier.
Un appui extérieur indispensable pour un parti moribond localement, dont l’infrastructure de terrain avait quasi-disparu. « Le parti démocrate en Alabama ne fonctionne plus depuis des années », confirme à l’AFP Richard Mauk, président de la section du parti dans le comté de Jefferson.
Melanie Jeffcoat, une bénévole blanche de Birmingham, a passé son dimanche à arpenter les rues pour rappeler aux électeurs de voter, et assurait qu’elle n’avait « jamais vu autant d’enthousiasme pour un candidat depuis Obama ». A posteriori, la militante exagérait à peine, tant certains quartiers ont vu un afflux de voix.
La participation était initialement prévue autour de 20 ou 25% – elle a finalement été d’environ 35%, selon les autorités locales.
Démocrates revigorés
« Doug Jones a gagné grâce à la participation », a estimé Keith Ellison, représentant démocrate. « Participation des Noirs, participation générale. Tout vient de l’organisation de terrain ».
Le président du parti démocrate, Tom Perez, a pris l’exemple du comté Lee, nommé en l’honneur du général confédéré Robert Lee, symbole de l’époque de l’esclavage. Donald Trump l’avait remporté l’an dernier… et Doug Jones y a battu son adversaire, le républicain Roy Moore, de 17 points.
« Les Noirs sont la colonne vertébrale du parti démocrate », a-t-il dit sur CNN mercredi. « Quand le parti démocrate s’implique tôt, on y arrive doucement mais sûrement ».
Il y a un vieux débat au parti démocrate, relancé après la défaite d’Hillary Clinton à la présidentielle: faut-il concentrer les investissements dans les régions gagnables, en laissant tomber les bastions républicains considérés comme imprenables, c’est-à-dire tout le centre des Etats-Unis et les zones rurales ?
Hillary Clinton a elle-même estimé que si les démocrates pouvaient l’emporter dans un terrain aussi peu favorable que l’Alabama, le parti pouvait absolument être compétitif « partout ».
L’autre versant de ce débat a été relancé par Charles Barkley, le joueur de basket. Il met en garde le parti démocrate qui, selon lui, « prend le vote noir et le vote des pauvres pour acquis depuis longtemps ». « Il est temps qu’ils se bougent les fesses et commencent à améliorer la vie des Noirs et des pauvres », a-t-il lancé.
La performance de l’Alabama ne doit toutefois pas tout aux Noirs.
Le démocrate a profité de la personnalité très controversée du candidat républicain, Roy Moore, un ancien magistrat ultra-conservateur qui dans le dernier mois de campagne a été accusé d’attouchements sur des mineures.
Les républicains des banlieues huppées ont voté en nombre soit pour un candidat tiers, soit pour le démocrate – une tendance notamment observée en Virginie le mois dernier, où certaines positions extrêmes du candidat républicain ont rebuté certains.
« Une partie conséquente des républicains a décidé en conscience de perdre l’élection », dit à l’AFP Marty Connors, ancien président du parti républicain de l’Alabama.
Selon lui, les démocrates ont simplement profité du fait que le candidat adverse « traînait une tonne de casseroles derrière lui ».
[Afp]