samedi , 7 novembre 2020
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RDC : Mafia à la Province de l’Equateur

L’Equateur n’enregistre pas de progrès économique et social. Depuis bien longtemps. Suite à l’incurie des Equatoriens eux-mêmes – la généralisation n’est sans doute pas ici de bon aloi, nous l’avouons, mais elle n’est pas loin de la réalité – qui ont cessé, attristant constat, d’aimer leur province et qui ont totalement perdu le sens de l’intérêt général. Dans cette partie du Congo, tout ne marche pas. Tout. Dans tous les secteurs et à tous les niveaux de pouvoir. Les causes de ce long sur place ont été identifiées, et ainsi connues. Elles ont pour noms intérêt personnel, désordre, incompétence, absence de rigueur gestionnaire, détournements, clientélisme politique, impunité.

On retrouve ces mêmes tares également dans d’autres provinces, dira-t-on. Mais à l’Equateur, elles sont plutôt « entretenues » – et elles le sont davantage ces sept dernières années – par une mafia politico-financière agissant de Kinshasa et ayant ses relais dans la province. Une redoutable machine bien structurée et animée par quelques personnes (des Equatoriens et des non-Equatoriens) qui se sont organisées, par un jeu d’alliances politiques et d’intérêts financiers, à faire systématiquement main basse sur les biens et les fonds de l’Equateur.

Les parrains de cette mafia ont placé leurs hommes et…femmes dans toutes les structures officielles et tous les services de la province générateurs de recettes. Ces dernières leur sont régulièrement envoyées à Kinshasa aussitôt qu’elles sont perçues et après que les mafieux locaux aient empoché leurs parts. Les différentes caisses publiques restant ainsi éternellement vides, aucun investissement public ne pouvant dès lors se réaliser, dans aucun domaine. D’où les permanentes jérémiades des populations locales : « L’argent ne circule pas ici. La vie devient de plus en plus difficile ». L’activité économique en subit le coup et se met à l’arrêt. La cessation, depuis deux ans, de la fabrication locale de la bière Primus par la Bralima, la première entreprise de la ville de Mbandaka, en est la plus éloquente et triste conséquence. Le chômage y ayant atteint un taux record (95% de la population), très peu de gens parviennent encore à s’acheter le mousseux breuvage. La Primus consommée aujourd’hui dans la ville est importée de Kinshasa ou de Kisangani. On cherche en vain les traces visibles, les réalisations significatives d’intérêt public, œuvres de successifs gestionnaires de la province que les générations futures pourront mettre à leurs actifs. Par contre, on voit dans tous les coins de la ville, et à leurs différents mandats successifs, leurs maisons privées d’habitation et bâtiments commerciaux sortir de terre comme des champignons ou achetés cash.

Les cas de détournements (de fonds, de véhicules et du patrimoine immobilier de la province) sont nombreux et répétitifs. Il y a quelques mois, une autorité provinciale avait été empêchée de voyager par les agents d’un des services de l’aéroport de Mbandaka, informés que ladite autorité emportait dans sa valise – comme elle le fait depuis un certain temps, dit-on – la totalité de frais de fonctionnement de ses services retirés de la banque par elle la veille. Ils avaient été instruits par leur hiérarchie de ne pas la laisser partir. Elle n’avait pas pris l’avion, les agents aéroportuaires étant restés intraitables. Les parrains kinois n’avaient pas ainsi reçu leur « butin » de ce mois-là.

A une période précédente, l’épouse d’un membre influent de la majorité présidentielle non Equatorien (listée parmi le personnel de la province et comme cadre résidant à Kinshasa et travaillant pour la province de l’Equateur – en réalité un emploi fictif) aurait mensuellement perçu, et pendant un long temps, l’équivalent du salaire d’un ministre provincial de l’époque – quelque 5 mille dollars – en remerciement de l’efficace et indéfectible soutien que son mari accordait au gestionnaire de la province du moment. De ces « revenus », elle se serait fait construire une jolie maison à Kinshasa qu’elle appelle sans scrupule « Merci Equateur ». Le porteur mensuel du « colis de madame », a-t-on appris, fut à l’époque un haut responsable de l’Anr de Kinshasa, convoyeur sûr dont les bagages ne pouvaient pas être fouillés à l’aéroport, qui faisait ainsi fréquemment le voyage pour Mbandaka. Il était régulièrement payé pour ce « service » rendu.

Le détournement des primes de risque du personnel médical provincial est « mensuel » à Mbandaka, depuis des années. Tout le monde est au courant, tout le monde en parle, tout le monde en connaît les bénéficiaires. Le ministre national du Budget, Michel Bongongo, a cru y mettre fin en traduisant dernièrement en justice quelques gestionnaires locaux ayant (régulièrement) trempé dans ces indélicatesses. Il y a eu quelques interpellations dont celle de l’ordonnateur délégué provincial qui s’est retrouvé dans le sordide cachot du Parquet général de Mbandaka. Un long séjour dans le noir pour une question de détournement d’argent public aurait été une première à l’Equateur. L’O.D. a aussitôt bénéficié – il fallait s’y attendre – d’une liberté « provisoire » et a tout bonnement retrouvé son…bureau. Il continue de co-actionner les mouvements du compte du Trésor provincial. Yeux indiscrets, circulez, il n’y a plus rien à voir… La plainte du ministre Bongongo a-t-elle été infondée, mal ficelée, fantaisiste ? A-t-on tapé sur les doigts du procureur en charge du dossier ?

A l’Equateur, la sanction semble avoir cessé d’être un maillon nécessaire de la gouvernance. Ici aussi, les exemples sont foison. Prenons-en un, le plus significatif. La résidence et le bureau officiels du gouverneur, lieux pourtant censés être les mieux protégés de la province, avaient totalement été pillés lorsque le gouverneur Jean-Claude Baende quittait ses fonctions en 2013. Petits et grands meubles, tapis, baignoires, vaisselles, rideaux et serrures avaient été emportés ! Tony Bolamba, l’actuel gouverneur, travaille présentement sous une paillotte qu’il a fait installer à sa résidence officielle et dort dans une…annexe de la maison principale, celle-ci jusqu’à aujourd’hui un « terrain vide ». Depuis 3 ans, personne n’a jamais été interpellée, aucun préposé – parmi les policiers de garde, les intendants, les techniciens de maison – n’a répondu de vols y perpétrés. Long silence radio du côté du parquet général. Aucun écho n’a non plus été entendu du côté de la police qui est restée inactive et muette sur ces forfaits quand le commun des Mbandakais entend parler et connaît les endroits où les objets dérobés se trouvent, du moins ceux qui n’ont pas quitté la ville. La tentaculaire Anr, qui a la réputation de tout voir, de tout entendre et de tout savoir, n’a, elle aussi, rien vu, rien entendu, rien…su, à ce jour !

Les agents locaux de la mafia – fonctionnaires et politiques – bénéficient naturellement de solides « protections » de la part des parrains kinois, tous grands bonzes de la majorité présidentielle. Une impunité assurée. Telle est la situation qui prévaut à l’Equateur et qui explique l’absence de réalisations importantes dans la province depuis belle lurette. On apprend que quelqu’un aurait récemment parlé au président de la République de cette mafia qui met l’Equateur en coupe réglée. Et ce n’est pas la première fois que Joseph Kabila est informé du pillage de la province par cette bande de voraces. Il y a environ trois ans passés, lors d’un meeting au stade municipal de Mbandaka II, le député national Henri-Thomas Lokondo avait déclaré : « J’ai parlé au président Kabila des importantes opérations d’envoi d’argent vers Kinshasa (« opérations-retour ») qui appauvrissent l’Equateur. Le président a réagi en me disant : « C’est donc vrai ces histoires d’envoi d’argent de la province au profit des gens à Kinshasa ? ». Mais rien n’a changé. La mafia a continué à opérer, à la pleine connaissance du…chef de l’Etat. Comportements répréhensibles de quelques-uns de ses proches et très influents collaborateurs, seul ce dernier peut les combattre et en éradiquer les nuisances sur les Equatoriens. Mais Joseph Kabila le peut-il ?

Il y a quelques décennies, l’Italie fut déréglée par la mafia, notamment napolitaine. L’opération « mains propres », par ses vagues d’arrestation et des condamnations à l’issue des procès très médiatisés, avait permis à ce pays de se débarrasser de tous les grands truands qui avaient déstabilisé ses institutions et sa vie économique. La province de l’Equateur verra-t-elle aussi un jour ses impénitents pilleurs et déstabilisateurs mis hors d’état de continuer de lui nuire ?

[Wina Lokondo, Mbandaka]

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