samedi , 7 novembre 2020
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Thomas Stuart Price Perriello - Envoyé spécial des USA dans les Grands Lacs
Thomas Stuart Price Perriello

Etats-Unis : « Nous continuerons de soutenir les Congolais qui veulent écrire un nouveau chapitre de leur histoire »

Le Trésor américain a imposé jeudi soir 23 juin des sanctions contre le chef de la police de Kinshasa, le général Célestin Kanyama, pour sa responsabilité dans des violences et des disparitions « ciblant des civils, des femmes et des enfants ». Ses avoirs aux Etats-Unis ont été gelés. Thomas Perriello : « Nous espérons toujours qu’il [Joseph Kabila] sera à la hauteur de ce moment historique, comme il l’a été par le passé à Sun-City ou lors de l’adoption de la Constitution. Il est capable d’avoir cette stature d’homme d’Etat [et de se retirer]. Les Congolais ont beaucoup souffert ces vingt dernières années. Les gens ont le sentiment que le pays est à un tournant. Les Etats-Unis ont massivement investi dans les opérations de maintien de la paix, le développement économique, la défense des droits humains et l’aide humanitaire. Nous continuerons de soutenir les Congolais qui veulent écrire un nouveau chapitre de leur histoire. »

Pourquoi, avec ces sanctions, viser un homme et non le système en place, qui à l’origine de la répression que vous dénoncez ?

Les sanctions sont basées sur les ressources et les responsabilités de certains individus. Elles sont conçues pour viser en priorité les responsables de certains abus. Le chef de police Kanyama a ordonné et supervisé pendant longtemps des opérations qui ont entraîné de très graves violations des droits humains. Cela inclut, pour ce qui est de la période récente, la fermeture de l’espace politique, des exécutions extrajudiciaires, l’intimidation des manifestants pacifiques. Nous espérons, bien sûr, que la République démocratique du Congo (RDC) connaîtra la première transition pacifique et démocratique de son histoire. C’est ce que veulent les Congolais.

Cela ressemble pourtant à un avertissement envoyé au président Joseph Kabila.

Les Etats-Unis ont une position claire, exprimée depuis longtemps : nous appuyons et défendons la Constitution, qui dit clairement que des élections doivent se tenir avant la fin de l’année. La RDC avait, jusqu’à récemment, une société civile foisonnante, une opposition et des médias indépendants. C’était une grande force. Nous sommes très inquiets des conséquences de la fermeture du champ politique. Nous l’avons dit, en public et en privé.

Les Etats-Unis défendent une ligne ferme face au pouvoir de Kinshasa alors que les Européens peinent à s’accorder sur d’éventuelles sanctions. Les Occidentaux parviendront-ils à agir de concert ?

Nous travaillons ensemble. Nous partageons un objectif commun très clair avec nos homologues européens et africains : soutenir les Congolais pour que se tienne cette élection historique. Chacun a son approche, je laisse les Européens parler pour eux-mêmes. Les Etats-Unis ont dit il y a longtemps qu’ils envisageaient des sanctions financières contre certains individus responsables de violations des droits humains et faisant obstacle au processus politique. Un premier pas a été franchi cette semaine.

Nous espérions que ce ne serait pas nécessaire. Mais malheureusement, ces derniers mois, nous avons observé une hausse des actes de répression et des restrictions aux libertés d’expression et de rassemblement pourtant gravées dans la Constitution congolaise et dans la Charte de l’Union africaine. La violence de responsables policiers comme Célestin Kanyama a des conséquences immédiates, et crée aussi une réaction en chaîne.

Pourquoi adopter des sanctions maintenant alors que les arrestations de proches de l’opposition et de militants des droits de l’homme se sont multipliés depuis 2015 ?

C’est un processus long. Nous continuons à enquêter pour mettre au jour les responsabilités individuelles qui seraient passibles de sanctions financières.

Moïse Katumbi a été condamné le 22 juin à trois ans de prison ferme. Le lendemain, les Etats-Unis annoncent des sanctions contre Célestin Kanyama. La coïncidence n’a pas échappé aux observateurs. Les deux décisions sont-elles liées ?

Les gens ne se rendent pas compte du temps qu’il faut pour décider de ce genre de choses [adopter des sanctions] au sein de l’administration américaine !

Regrettez-vous la condamnation de M. Katumbi ?

Les Etats-Unis ne soutiennent pas un candidat ou un parti en particulier. Nous voulons seulement que les Congolais puissent choisir leur prochain dirigeant au terme d’un processus démocratique et ouvert. Il ne s’agit pas seulement d’organiser une élection mais aussi de créer un environnement politique sûr pour que s’expriment une diversité de candidatures et de points de vue. Nous sommes inquiets des méthodes utilisées pour intimider les uns et les autres, même si nous croyons encore qu’il y a une chance que l’histoire se finisse bien…

Il est pourtant à peu près certain aujourd’hui que l’élection présidentielle prévue le 27 novembre ne pourra se tenir dans les délais.

C’est ce que prévoit la Constitution et cela reste la base de toutes nos discussions. Des élections devront se tenir quand le mandat du président sera terminé, ou avant cette date.

Pensez-vous que la situation de M. Katumbi peut encore évoluer, que la condamnation et l’inégibilité qui le frappent peuvent être levées ?

Oui, c’est possible. La question est : à quelles conditions cela pourrait-il se produire ? Des mois tendus s’annoncent. Une incertitude exacerbée par une situation économique de plus en plus fragile, liée à la hausse des prix des produits de base, aux fluctuations monétaires, etc. Tout le monde a conscience que c’est un moment tendu pour la RDC et qu’il va falloir des qualités d’homme d’Etat et un leadership fort pour créer un espace politique ouvert et démocratique. Malheureusement, ce n’est pas l’approche que nous observons.

Quand avez-vous rencontré le président Kabila en tête à tête pour la dernière fois ?

Il y a deux mois environ.

Quel est son état d’esprit ?

Je ne vais pas spéculer sur son état d’esprit. Nous espérons toujours qu’il sera à la hauteur de ce moment historique, comme il l’a été par le passé à Sun-City [où ont été signés les accords qui ont mis fin à la deuxième guerre du Congo] ou lors de l’adoption de la Constitution. Il est capable d’avoir cette stature d’homme d’Etat [et de se retirer]. Les Congolais ont beaucoup souffert ces vingt dernières années. Les gens ont le sentiment que le pays est à un tournant. Les Etats-Unis ont massivement investi dans les opérations de maintien de la paix, le développement économique, la défense des droits humains et l’aide humanitaire. Nous continuerons de soutenir les Congolais qui veulent écrire un nouveau chapitre de leur histoire.

[Propos recueillis par Elise Barthet et Serge Michel / leMonde]

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