Dans une longue note pour la fondation Robert Schuman de recherches sur l’Europe, le spécialiste du droit européen Jean-Claude Piris évoque sept scénarios, dont un laborieux traité au cas par cas, un avenir sans accord qui laisserait le Royaume-Uni dans une situation similaire aux pays qui n’ont pas de traité cadre avec l’UE ou encore un accord de libre-échange comme celui conclu avec le Canada(CETA). Les pistes les plus prometteuses s’inspirent des relations que l’UE a conclu avec d’autres pays comme la Norvège, la Suisse ou encore la Turquie. Explications.
• La voie norvégienne. Modèle le plus souvent cité. La Norvège, au même titre que l’Islande ou le Liechtenstein, fait partie de l’Espace Economique Européen (EEE). Le Royaume-Uni aurait alors un accès au marché intérieur européen qui garanti la libre circulation des biens, services et personnes. Ce serait du point de vue économique et juridique, la solution “la plus simple”, écrit Jean-Claude Piris. La City continuerait à rayonner, les exportations et importations ne souffriraient pas outre mesure. Londres retrouverait, en outre, sa souveraineté pleine et entière dans des domaines sensibles comme l’agriculture, la pêche ou la politique étrangère. Mais les partisans du Brexit risquent cependant de rechigner. Les pays de l’EEE doivent verser une contribution au budget européen d’une importance comparable à celle d’un État membre. Ils sont contraints d’appliquer aussi toutes les règles du marché unique décidées à Bruxelles sans avoir leur mot à dire. Pas folichon pour un camp qui n’a eu de cesse de vilipender les technocrates bruxellois. En outre, la libre-circulation des personnes implique que les flux migratoires ne pourraient pas être mieux contrôlés, alors que c’était l’un des thèmes majeurs de la campagne en faveur du “out”.
• La voie suisse. Les Helvètes et l’UE ont négocié plus de 120 accords sectoriels. Ils ont un traité pour tout… sauf, notamment, pour les services financiers (secret bancaire suisse oblige). Ce modèle “pourrait plaire aux Britanniques”, estime Jean-Claude Piris. Londres pourrait s’appuyer sur le droit international, en général, et régler les détails qui l’intéressent via des accords spécifiques. Le Royaume-Uni ne serait ainsi pas tenu par les décisions des différentes cours européennes et pourrait reprendre le contrôle total de ses frontières. Il y a fort à parier, en revanche, que l’UE refusera cette option. Elle s’est déjà plainte de la complexité des relations avec la Suisse et souhaite en simplifier le cadre. Bruxelles ne va probablement pas créer avec le Royaume-Uni un nouveau casse-tête réglementaire.
• La voie turque. Il s’agit d’une association économique avec union douanière. Autrement dit, il y aurait des accords sur le commerce des biens avec des tarifs douaniers définis en commun et l’application de certaines règles de droit communautaire. Ce serait une manière radicale de couper le cordon politique avec Bruxelles, en se concentrant sur les aspects purement commerciaux. Mais cette solution susciterait très probablement l’ire de la City. L’union douanière ne concerne en effet pas les services (y compris financiers). La voie turque est celle qui endommagerait le plus le prestige et l’influence de la place financière londonienne. Les politiques britanniques auront sûrement à cœur de ne pas s’attirer les foudres d’un secteur qui pèse près de 12 % du PIB national.
• La voie AELE. Enfin, la Grande-Bretagne pourrait rejoindre l’Association européenne de libre-échange (AELE). Ce serait une solution à minima : “c’est une sorte de coquille vide”, résume Jean-Claude Piris. Ce cadre ne fixe de règles que pour l’échange des produits de mer et certains produits agricoles. L’AELE a été fondée en 1994 pour établir les bases des relations avec la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse. Entre temps, tous ces pays ont renforcé leurs relations avec l’UE par d’autres mécanismes comme l’EEE ou la multiplication d’accords sectoriels.
Aucune des solutions existantes ne constituent donc un modèle idéal, ce qui risque d’entraîner des négociations à rallonge pour essayer de tenter de satisfaire tout le monde. Là encore, c’est une mauvaise nouvelle pour l’économie européenne et britannique, car en l’espèce, le temps c’est de l’argent.
Les negotiations des sorties mediates
Après le camouflet que lui ont infligée les électeurs britanniques vendredi 24 juin en choisissant de lui tourner le dos, l’Union européenne (UE) doit désormais élaborer un plan de bataille. Quelques heures après la publication des résultats du référendum, le président du Conseil européen Donald Tusk, celui de la Commission Jean-Claude Juncker et celui du Parlement Martin Schulz ont demandé que « cette décision du peuple britannique » soit effective « dès que possible », afin d’éviter toute contagion parmi les 27 restants.
Jean-Claude Juncker a d’ailleurs vite dû afficher sa fermeté face au Premier ministre britannique David Cameron, qui avait estimé qu’il « ne serait pas juste [qu’il soit] le capitaine conduisant le pays vers sa prochaine destination », reportant à octobre, après sa démission, le début des négociations. Le président de la Commission a réagi vendredi soir en annonçant qu’il voulait entamer immédiatement les discussions.
« Politiquement, il faut donner le signal d’un sursaut européen, d’une volonté de continuer à 27. Un projet qui serait mieux ficelé et qui parlerait davantage aux citoyens », juge la journaliste de France 24 Caroline de Camaret. Car après le choc du Brexit, vient le temps de la réflexion et d’une analyse des raisons d’une telle défiance vis-à-vis de l’UE chez les Britanniques, partagée par une partie des citoyens européens.
Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier, les ministres français et allemand des Affaires étrangères, ont ébauché un projet d’une union plus flexible, qu’ils comptent proposer à leurs homologues italien, néerlandais, belge et luxembourgeois lors d’une réunion des six États fondateurs de l’UE, samedi à Berlin, qui fait suite à une réunion informelle des ministres européens des Affaires étrangères vendredi matin au Luxembourg. Ils envisagent notamment « d’offrir un espace » aux pays qui ne sont pas prêts à approfondir l’intégration, selon une source diplomatique.
Le président français François Hollande a, lui aussi, esquissé des pistes pour résoudre la « crise morale » que traverse l’UE. Jugeant que « l’Europe ne peut plus faire comme avant » face aux « extrémismes » qui se nourrissent de la défiance des citoyens à l’égard d’une Union jugée intrusive et bureaucratique, il a annoncé que la France serait « à l’initiative pour que l’Europe se concentre sur l’essentiel », à savoir « la sécurité », « l’investissement pour la croissance et pour l’emploi », « l’harmonisation fiscale et sociale » et « le renforcement de la zone euro et de sa gouvernance démocratique ».
Marathon diplomatique
Avec le mini-sommet de samedi, un marathon diplomatique semble s’être enclenché au sein des plus hautes instances européennes pour gérer les multiples conséquences du Brexit. Un sommet européen, prévu de longue date, aura lieu les 28 et 29 juin.
Donald Tusk, le président du Conseil, a d’ores et déjà annoncé qu’il avait l’intention d’organiser en plus une réunion « informelle » en marge de ce sommet, avec 27 chefs d’États et de gouvernement, hors Royaume-Uni, afin de discuter des conséquences du Brexit.
Il faudra notamment envisager le sort des 73 eurodéputés britanniques, « qui pourront rester jusqu’en 2019 sans participer au processus décisionnaire », souligne Caroline de Camaret. Et quid de la présidence britannique du Conseil de l’UE (qui réunit les ministres compétents par domaine d’activité et ne doit pas être confondu avec le Conseil européen), prévue au deuxième semestre 2017 ?
Le Parlement européen va également se rassembler, mardi 28 juin, selon son président, Martin Schulz, qui a annoncé la convocation d’une session plénière extraordinaire. « La réaction en chaîne que les eurosceptiques célèbrent maintenant un peu partout n’aura absolument pas lieu », a-t-il assuré.
Les chefs d’États et de gouvernements européens pourraient quant à eux décider de se réunir de nouveau au mois de juillet.
« Vous voulez partir ? Très bien, mais vous allez en payer le prix »
Ces rencontres au plus haut niveau européen pourraient permettre de déterminer l’attitude commune à adopter face à Londres, qui ne semble pas encore claire. « Certaines capitales, comme Paris, voudraient une ligne dure vis-à-vis des Britanniques. ‘Vous voulez partir ? Eh bien, très bien, mais vous allez en payer le prix’. Et cela, c’est aussi pour éviter un effet de contagion », estime Kattalin Landaburu, correspondante de France 24 à Bruxelles.
Le gouvernement français aurait en effet débattu, vendredi après-midi, entre des tenants d’une ligne dure et ceux d’une attitude plus conciliante. François Hollande a donc dû arbitrer entre une « fermeté absolue » à l’égard des Britanniques, selon la formule d’un ministre favorable à cette ligne, et la ligne portée par son ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, soucieux d’éviter tout esprit de revanche.
La France cherchera donc la « convergence franco-allemande », selon les mots de l’occupant du quai d’Orsay, afin de redonner une nouvelle perspective à l’UE, même si la France semble davantage demandeuse d’une telle issue que l’Allemagne.
Référendum reclame en France et au pays-bas
Les eurosceptiques ont crié victoire, vendredi 24 juin, après l’annonce des résultats du référendum britannique, en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Plusieurs responsables de partis situés aux extrémités de l’échiquier politique se sont félicités du Brexit annoncé. Certains ont même appelé à un référendum similaire dans leur propre pays.
« Maintenant, c’est à notre tour »
En France, la présidente du Front national – et députée européenne –, Marine Le Pen, a ainsi salué sur Twitter une « victoire de la liberté », réclamant « le même référendum en France et dans les pays de l’UE ».
Aux Pays-Bas, le député d’extrême droite Geert Wilders lui a emboîté le pas et a exigé une consultation populaire sur un « Nexit », une éventuelle sortie néerlandaise de l’UE. Alors que son parti est invariablement placé en tête des sondages, il assure qu’il se chargera lui-même d’organiser ce référendum s’il devient Premier ministre après les élections générales de mars 2017.
En Italie, Matteo Salvini, dirigeant du parti eurosceptique et anti-immigration de la Ligue du Nord, a salué sur Twitter le « courage des citoyens libres » face aux « mensonges, menaces et chantages » : « Merci Royaume-Uni, maintenant, c’est à notre tour. »
L’Italie, comme la France et les Pays-Bas, compte parmi les six pays fondateurs de l’Union européenne. Une éventuelle sortie de l’UE de l’un de ces trois pays porterait un coup plus terrible encore au projet européen.
Les extrêmes droites danoise, allemande et autrichienne ont aussi profité de la dynamique du Brexit pour accabler l’UE ou demander un référendum. Beatrix von Storch, une dirigeante du parti populiste allemand de l’AfD, a par exemple appelé à la démission de Jean-Claude Juncker et Martin Schulz, respectivement présidents de la Commission et du Parlement européens.
L’extrême gauche aussi
Mais l’instrumentalisation du Brexit n’a pas été l’apanage des représentants de l’extrême droite. Jean-Luc Mélenchon, en France, en a profité pour souligner le besoin de réforme au sein de l’UE : « L’Union européenne, on la change ou on la quitte », a-t-il lancé, appelant à la « sortie des traités européens ». Le président du Parti de gauche suédois, Jonas Sjöstedt, a également appelé son gouvernement à « renégocier » ses conditions d’adhésion à l’Union, afin de « réduire le pouvoir de l’UE ».
Fin aux ambiguïtés anglaises
Au risque de contrarier les catastrophistes qui donnent de la voix, le résultat du référendum sur le Brexit peut-être une chance pour l’Europe. Une chance pour qu’elle donne enfin l’image d’une union politique et sociale dont les membres relèvent ensemble, avec des règles communes, les défis du XXe siècle. C’est aussi, n’en déplaise à ceux qui ont pris le deuil, une victoire de la clarté, ce qui n’est jamais une mauvaise chose pour la démocratie.
Cela fait longtemps que le Royaume-Uni avait un pied – voire un pied et demi – en dehors de l’Union, et les concessions arrachées par Cameron pour soi-disant maintenir son pays dans l’UE étaient absolument exorbitantes. Cet épisode indigne, ce énième renoncement des Européens, avait donné l’impression que l’Europe n’était plus qu’un club de vieux conservateurs sans idées ni colonne vertébrale.
L’ampleur de la victoire du « Leave » est aussi une bénédiction. Elle vaut beaucoup mieux qu’une courte victoire du « Remain » qui n’aurait pas dissipé les ambiguïtés. On a d’ailleurs plutôt envie d’écrire : « Feu le Royaume Uni ». Car c’est probablement la première leçon qu’il faut tirer de ce référendum ubuesque. Pour retrouver son « indépendance », le Royaume-Uni s’est suicidé.
Car, mis à part Londres qui est une ville monde, c’est l’Angleterre (et le Pays de Galles) qui a voté pour le Brexit. Il ne fait guère de doute que d’ici deux ans, le delai minimum pour négocier la sortie effective des Anglais, l’Écosse se prononcera une nouvelle fois sur son avenir et choisira cette fois de se séparer de la couronne pour rester dans l’UE et même d’entrer dans la zone euro.
En Irlande du Nord, le Brexit risque de remettre en cause la paix fragile entre les communautés. En votant « Remain », ce petit coin du royaume niché sur l’île irlandaise a donné la victoire aux Républicains. Ceux qui espèrent se réunir avec l’Irlande ont en effet remporté le référendum dans le référendum contre les unionistes qui prônaient massivement le « Leave ». La sortie de l’UE réveillera probablement les forces centrifuges, peut-être synonymes de nouvelles violences.
Sur le plan international, la position de l’Angleterre sera certainement affaiblie, y compris sa relation si particulière avec les États-Unis, surtout si les démocrates conservent la Maison Blanche en novembre. Pour Washington, l’alliance privilégiée avec le Royaume-Uni avait surtout l’avantage de leur offrir une sorte de tête de pont en Europe. Une petite Angleterre repliée sur elle-même a beaucoup moins d’intérêt pour les Américains.
Saisir une chance de réinventer l’Europe.
Les Anglais sont un peuple de grand génie. C’est à eux de prouver qu’il se porteront mieux en dehors de l’Europe. Ils ont survécu à bien pire dans leur longue histoire et il serait risqué de pronostiquer leur déclin. Pour l’Europe, ce vote de clarté peut donc être une chance.
Il ne faut pas trop s’affoler du comportement des marchés qui vont plonger car ils n’avaient pas anticipé ce résultat. Ils s’en remettront aussi. Les plus malins attendent déjà le meilleur moment pour acheter. Les marchés sont par définition court-termistes et l’Europe a besoin, plus que jamais, d’un projet de long terme.
Car, bien au-delà du Royaume-Uni, elle n’inspire plus ni confiance ni envie. Elle ne rassure plus. C’est l’Europe passoire, l’Europe bureaucratique, l’Europe de la faible croissance et du chômage, des inégalités fiscales, des normes aberrantes qui a été sanctionnée et si on leur en donnait la possibilité, d’autres peuples se prononceraient comme les Anglais en cédant aux sirènes populistes et nationalistes qui se font de plus en plus bruyantes.
En moins de 20 ans, les peuples européens ont viré de l’euro-enthousiasme à l’euroscepticisme parce que leurs gouvernements ont préféré l’élargissement à tout prix à la consolidation du projet européen. Ceux-ci n’ont cessé de repousser les choix vers plus d’intégration et de fédéralisme qui représentent le seul avenir de l’Europe si elle veut être autre chose qu’un grand marché commun.
Aller dans cette direction sera plus facile sans les Anglais. C’est ce qui a poussé un grand européen comme Michel Rocard à souhaiter la victoire du Brexit. Mais comme il le dit lui même, il n’est pas certain que les Européens sachent quoi faire de cette chance. Pour cela, il faudrait que nous ayons aux commandes des pays européens du « cœur » de l’Europe des hommes d’État dotés d’une réelle vision.
[Avec Reuters, AFP, France24]