samedi , 7 novembre 2020
Accueil / Afrique / RDC : La balkanisation en sous-main
Photo des billets de 500 et 20 franc congolais.
Billets de 500 et 20 franc congolais.

RDC : La balkanisation en sous-main

L’éclatement de l’unité monétaire qui pourrait s’ensuivre risque de faire le lit au grand projet de balkanisation du pays. Les défenseurs de ce projet macabre trouveront dans les dommages collatéraux de cette réforme une belle occasion d’obtenir ce qu’ils n’ont pas réalisé par la voie des armes. Reprenant du poil de la bête, ils pourraient saisir l’opportunité pour consolider l’existence des zones monétaires (division de facto) et encourager les populations à aller plus loin en exigeant une autonomie administrative et politique. Ainsi, c’est tout le pays qui court le risque de disparaître du fait d’une réforme monétaire.

Dans exactement 18 jours, la RDC élargira son éventail fiduciaire par l’émission de trois nouvelles coupures de franc congolais (Fc) : 1 000, 5 000 et 10 000 Fc. Pessimiste, la population est hantée par l’inflation mais aussi par le spectre de l’éclatement de la RDC en zones monétaires. A l’instar de ce qui est arrivé en 1993 du fait des réformes hasardeuses de la 2ème République. Dans le cas d’espèce, les ennemis de la RDC pourraient saisir cette opportunité pour transformer les espaces monétaires ainsi créés en zones administratives autonomes. Et l’on est parti pour la mise en œuvre du projet de balkanisation.

2 juillet 2012. C’est la date prévue pour le lancement de nouvelles coupures à valeur faciale élevée. Quand bien même le gouvernement préférerait l’expression valeur faciale «adaptée» la population ne serait pas disposée à avaler la pilule qu’on lui prépare. Les appréhensions de cette dernière seraient fondées sur ce qu’elle considère comme «du déjà-vécu». L’espace monétaire kasaïen, né la réforme de 1993, est encore frais dans la mémoire des Congolais et ils craignent que la réforme du 2 juillet ne produise les mêmes effets.

Selon les spécialistes du secteur, la Banque centrale du Congo (BCC) et le gouvernement devraient relever un défi majeur, à savoir l’élément confiance, lequel devrait accompagner le processus en cours.

Optimisme contre incertitude

Il est vrai qu’au niveau de l’Exécutif national et de la BCC, l’on est convaincu de la réussite de l’opération. Toutefois, à cet optimisme s’oppose l’inquiétude du public, principal consommateur de nouvelles coupures. Aussi la BCC se propose-t-elle d’intensifier sa campagne de communication. Laquelle vise à faire adhérer davantage la population à la réforme en cours.

Jusqu’à ce niveau, tout est encore théorique, basé sur des simulations des experts de la BCC qui s’inspire en grande partie des expériences réussies de 1998 avec le lancement du franc congolais et, plus tard, de 2003 lorsqu’il a été lancé les coupures de 200 et 500 Fc. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la BCC exclut tout naufrage au terme de la réforme du 2 juillet 2012. Elle s’appuie, à ce propos, non seulement sur son flair de technicien de la monnaie, mais surtout de la bonne santé de la conjoncture intérieure marquée par une nette stabilité du cadre macroéconomique.

Toutefois, la mémoire étant un facteur de comportement, le consommateur congolais – celui-là même qui donne au billet émis par la BCC la qualité de monnaie – ne cache pas son scepticisme. Il est convaincu qu’après le 2 juillet, l’édifice de la stabilité macroéconomique devrait s’écrouler. A ses inquiétudes s’ajoute aussi ce danger de l’éclatement de l’unité monétaire de la RDC. L’on doit se rappeler, à cet effet, de l’expérience malheureuse de 1993 où, à la suite d’une «réforme monétaire politiquement décriée et techniquement mal agencée», les deux provinces du Kasaï se sont mises en marge en se constituant en une zone monétaire distincte.

Dans l’opinion, l’on craint une résurgence du démon de 1993. Et la situation sur terrain se prête bien à un tel scenario. C’est le cas, par exemple, des provinces de l’Equateur, du Bandundu, etc. où de petites coupures du Franc congolais (10 et 20 Fc), démonétisées de fait dans les grandes villes, ont toujours cours légale. Or, dans sa stratégie de lancement de nouvelles coupures du Franc congolais, la BCC a promis de se concentrer en priorité dans les grandes villes. Il y a donc l’ombre de se retrouver en face d’une économie à deux vitesses.

D’un côté, il y aura une zone économique où de petites coupures, pourtant décriées ailleurs, participent dans les transactions courantes, et une autre, notamment les grandes villes où de grosses coupures régiront les transactions. Le danger est qu’on va courir droit vers une désintégration de l’unité économique du pays. Ce qui n’est pas pour une économie qui cherche à se réorganiser pour prétendre passer dans quelques années dans les rangs des économies à revenu intermédiaire.

C’est dire que la réforme relative au lancement de grosses coupures du Franc congolais est un couteau à double tranchant. Car, non seulement elle ne va pas annihiler le problème de la dollarisation à outrance de l’économie nationale où 89% sont dénouées en devises étrangères, mais elle aura l’inconvénient, à terme, de faire perdre à la monnaie nationale son statut d’attribut de souveraineté.

Point de vue des experts

Bien avant que la BCC n’annonce l’émission de grosses coupures du Franc congolais, les professeurs Kabuya Kalala et Tshiunza Mbiye, deux économistes de renom à l’Unikin, ont, six mois auparavant, dans un article précurseur à l’édition de décembre 2011 de la revue Congo-Afrique, sonné l’hallali sur les germes de crise qui peuvent naître du fait d’une mauvaise manipulation de l’arme monétaire. L’intitulé de l’article est révélateur : «Pouvoir et argent : la crise de la monnaie revisitée en RD Congo».

Après une remontée dans le temps de toutes les réformes menées en RDC, ils rappellent qu’ «au-delà du phénomène de dollarisation qui est commun à la plupart des hyperinflations vécues dans le monde, il s’est observé en République démocratique du Congo, des formes nouvelles et insoupçonnées de la crise monétaire». «Par exemple, poursuivent-ils, «malgré la hausse persistante des prix, le public n’a pas voulu s’accommoder de la politique intempestive de la Banque centrale d’émettre des billets à valeur faciale de plus en plus élevées, sous prétexte de faciliter les transactions et de réduire le coût d’impression de petites coupures. Au contraire, le public cherchait à détenir de petites coupures croyant ainsi échapper à l’arbitraire de la taxe d’inflation».

Cette analyse s’inspire de la réforme monétaire de 1993. C’est vrai qu’en 2011, le contexte est tout à fait différent ; les prix sont stables et les marges de fluctuation du taux de change sont faibles. Mais, les deux professeurs pensent que la question de la monnaie ne se limite pas qu’aux seuls aspects techniques. Il y a, estiment-ils, la dimension de la confiance qui influe fondamentalement sur la capacité de la monnaie à jouer véritablement son rôle. Bref, c’est sur la confiance que se jouera le succès de la réforme du 2 juillet 2012. «C’est autour de la confiance que se dessinent les règles informelles qui fondent le jeu monétaire», relèvent-ils.

La balkanisation en sous-main

L’éclatement de l’unité monétaire qui pourrait s’ensuivre risque de faire le lit au grand projet de balkanisation du pays. Les défenseurs de ce projet macabre trouveront dans les dommages collatéraux de cette réforme une belle occasion d’obtenir ce qu’ils n’ont pas réalisé par la voie des armes. Reprenant du poil de la bête, ils pourraient saisir l’opportunité pour consolider l’existence des zones monétaires (division de facto) et encourager les populations à aller plus loin en exigeant une autonomie administrative et politique. Ainsi, c’est tout le pays qui court le risque de disparaître du fait d’une réforme monétaire.

En réussissant en 1998 d’unir l’espace monétaire congolais, M’Zee Laurent-Désiré Kabila a réalisé un projet qu’il faut à tout prix préserver. Or, la réforme de 2 juillet prochain aura le grand désavantage de consacrer de la manière la plus officielle l’évolution à deux vitesses de l’économie. N’est-ce pas entraîner l’économie nationale au bord du cataclysme. L’éclatement en zones monétaires pourrait conduire à l’éclatement. Et la mise en circulation de nouvelles coupures mal négociée pourrait ouvrir la brèche dans laquelle s’inséreront ceux qui mijotent l’éclatement du Congo par la remise en cause de ses frontières héritées de 1885.

En encadré, nous reprenons une section de l’article des professeurs Kabuya et Tshiunza consacrée à «la portée de la confiance» dans la perception de la monnaie.

La portée de la confiance

C’est autour de la Confiance que se dessinent les règles informelles qui fondent le jeu monétaire. L’expression bien connue de «monnaie fiduciaire» indique ce lien entre la confiance et la monnaie. La confiance dans la monnaie a été très peu étudiée par les économistes. Sans doute, parce que, comme le pense L. Fémenias, les monnaies nationales sont, en règle générale assez bien acceptées par les populations. Il est cependant des cas où la confiance laisse la place à une certaine méfiance voire, à un certain rejet, ouvrant ainsi la voie à une crise plus ou moins durable de la monnaie et du système qui l’émet. Déceler les conditions qui conduisent à une telle situation, c’est déjà entrevoir les domaines dans lesquels des actions éventuelles de redressement pourraient s’orienter.

La confiance comporte deux dimensions, une dimension sociale et une dimension économique. Elle repose sur la réputation et la crédibilité. Examinons rapidement le sens de ces deux termes. La réputation est en général le fait d’être honorablement connu du point de vue moral, pour son honnêteté, pour sa loyauté, d’où, le rôle de l’éthique et de la dimension sociale de la confiance. Par contre, la crédibilité est ce qui fait qu’on lui reconnait une compétence, une expertise dans le domaine considéré, ce qui correspond à la dimension proprement économique de la confiance.

S’agissant de la confiance dans la monnaie, «elle se nourrit à des sources multiples les pratiques quotidiennes, la vigilance des autorités de régulation, mais également le projet de société qui est proposé aux citoyens. La confiance est perceptible concrètement aux niveaux hiérarchique, méthodique et éthique».

La «confiance hiérarchique» est directement liée à l’autorité, l’Etat en général, et la Banque centrale, en particulier. Cette confiance est rendue présente par les gestes de protection de l’autorité monétaire à l’endroit du système de paiement. La «confiance méthodique» résulte de la répétition réussie des transactions monétaires quotidiennes. Quant à la «confiance éthique», elle procède de l’adhésion sociale à la monnaie comme un «bien collectif» dont l’utilité s’accroît avec le nombre de gens qui l’utilisent. Mais, c’est un bien collectif assez spécial puisque son coût de détention — représenté par la taxe d’inflation — s’impose à tous les utilisateurs. Gérer la monnaie dans l’intérêt général, c’est donc en préserver la valeur d’usage.

L’érosion de la confiance dans toutes ses dimensions a constitué l’élément moteur de la crise de la monnaie au Congo. La confiance hiérarchique a été insidieusement entamée par le sevrage ou le faible accès des banques commerciales à la monnaie émise par la Banque centrale, qui constitue le socle même de tout système de paiement. Comme déjà indiqué haut, pour qu’une dette soit réglée par chèque bancaire entre deux personnes, il est nécessaire qu’intervienne un moyen de paiement extérieur aux deux individus et donc un ordre supérieur à une simple reconnaissance de dette. De même, pour que les banques puissent régler leurs dettes réciproques, il est indispensable qu’existe une Banque centrale. A l’indisponibilité croissante des réserves libres des banques auprès de la Banque centrale, est venue s’ajouter une trésorerie des banques tout aussi serrée. Par exemple, dans la première moitié de la décennie 1990, le taux de couverture des dépôts par les encaisses dans les banques commerciales est tombé de 7,2% en 1990 à 1,6% en 1995.

L’érosion de la confiance méthodique au Congo a rencontré un terrain favorable dans le gonflement excessif des dépôts bancaires nés de paiements effectués par l’Etat, en faveur de ses fournisseurs, au moyen de virements non couverts en comptes bancaires. Cette perversion des mécanismes de paiement plaça les banques commerciales dans l’incapacité d’honorer les demandes de retraits de la part de leurs clients. Il s’ensuivit une importante décote du chèque par rapport aux espèces dans les transactions. La crise de liquidités dans le circuit bancaire affecta tant la confiance hiérarchique que la confiance méthodique en pâtit. Contraintes par leur trésorerie, les banques ont rationné les montants des retraits sollicités par les clients sur leurs comptes.

La confiance éthique est la plus importante des trois niveaux de confiance, car c’est elle qui peut borner l’action de l’autorité politique sur la monnaie. Hélas ! Cette confiance fut à son tour irrémédiablement entamée du fait de l’expansion fulgurante de la masse monétaire, impulsée essentiellement par le financement des déficits publics. Par conséquent, la valeur de la monnaie nationale s’effondra avec l’éclatement subséquent de l’hyperinflation.

Extrait de l’article «Pouvoir et argent : la crise de la monnaie revisitée en RD Congo», Kabuya Kalala François et Tshiunza Mbiye Omer, Congo-Afrique, Décembre 2011.

[Le Potentiel]

Cet article a été lu 6475 fois – 13/06/2016 – wiwmtktnw

A lire aussi

Les oubliés : Chronique des Héros de Wenge Musica

C’est le nom de cette chronique qui retrace dans les moindres détails les noms et …

Laisser un commentaire