D’une statue de Shakespeare aux festivals de cinéma, le British Council a annoncé jeudi suspendre tous ses projets en Russie pour la première fois depuis 1959, sur fond d’une profonde crise diplomatique entre Moscou et Londres.
Déjà opposées sur les principaux dossiers internationaux, la Russie et la Grande-Bretagne ont vu leurs relations s’envenimer depuis l’empoisonnement de l’ex-espion russe Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia le 4 mars en Angleterre.
Londres a désigné Moscou comme responsable, en annonçant l’expulsion de 23 diplomates russes et le gel des relations bilatérales.
En représailles, la Russie, qui clame son innocence, a ordonné l’expulsion de diplomates britanniques et la fin des activités du British Council sur son territoire.
Jeudi, cet organisme international, chargé des échanges éducatifs et des relations culturelles entre les deux pays, a annoncé se plier à la décision de la diplomatie russe.
« Nous avons annulé tous les événements et programmes prévus », a indiqué le British Council dans un communiqué. « Nous le regrettons profondément », a-t-il ajouté.
Implanté en Russie depuis 1959, le British Council était une fenêtre pour les Soviétiques puis les Russes sur la culture britannique: des personnalités comme les écrivains Julian Barnes et Jonathan Coe, les réalisateurs Sam Taylor-Wood et Peter Greenaway et l’acteur Ian McKellen, étaient régulièrement invités.
Le British Council a également organisé des festivals de cinéma populaires et s’est parfois lancé dans des initiatives inattendues, comme le lancement en 2016 d’une rame de métro consacrée à la vie et aux personnages de Shakespeare.
Grande perte pour la culture
L’organisme permettait également à des artistes russes de se rendre au Royaume-Uni grâce à un système de bourses destiné à renforcer les liens culturels avec la Russie.
« C’est une grande perte pour la culture des deux pays », a regretté auprès de l’AFP la cheffe d’orchestre Ekaterina Antonenko, dont l’ensemble vocal a obtenu récemment une bourse du British Council, après avoir découvert la Grande-Bretagne dans le cadre d’un voyage entièrement pris en charge par l’organisme.
Le Prix Nobel bélarusse Svetlana Alexievitch et l’écrivaine russe Lioudmila Oulitskaïa ont également marqué leur désaccord, en signant une pétition pour soutenir le British Council.
Mikhaïl Safronov, un lycéen russe de 16 ans habitant dans la région de Koursk (sud-ouest) a lui aussi lancé une pétition en soutien à l’institution, qui avait recueilli vendredi matin 13.000 signatures.
« Cela me fait de la peine de voir ce qui se passe entre la Russie et la Grande-Bretagne, nos pays doivent être amis », a déclaré Mikhaïl Safronov à l’AFP.
« Le British Council faisait beaucoup de choses pour nous », a-t-il souligné. Lui-même avait notamment suivi des cours d’anglais en ligne sur le site de l’organisme, participé à des concours et visité sa « magnifique » bibliothèque à Moscou.
Geste de bonne volonté
En 2008, alors que Moscou et Londres étaient engagés dans un bras de fer diplomatique autour de la mort par empoisonnement de l’ancien agent secret russe Alexandre Litvinenko, le British Council en Russie s’était vu obligé de fermer tous ses filiales régionales.
Seul l’institut de Moscou avait été autorisé par le pouvoir russe à poursuivre ses activités.
Cette fois, la diplomatie russe a annoncé mettre fin à l’ensemble des activités du British Council en Russie, y compris son antenne moscovite. La raison officiellement invoquée? Des problèmes concernant sa situation juridique en Russie.
« La Russie et la Grande-Bretagne n’ont pas d’accord sur les centres culturels, et en pratique, nous faisions preuve de bonne volonté en laissant fonctionner le British Council », a insisté jeudi Mikhaïl Chvydkoï, représentant spécial du président Vladimir Poutine pour la coopération culturelle internationale, cité par l’agence de presse russe TASS.
« Mais le contexte politique aujourd’hui est tout à fait différent, et il serait étrange de continuer à faire des gestes de bonne volonté », a-t-il ajouté, tout en assurant que la Russie ne souhaite pas « rompre ses relations culturelles avec la Grande-Bretagne ».
La fermeture du British Council fait planer des doutes sur le projet, censé débuter vers 2019, d’ériger une statue de Shakespeare devant un musée consacré aux négociants anglais, dans le coeur de Moscou.
Un appel d’offres a été lancé cette année, le meilleur projet devait être sélectionné fin avril et les travaux financés par le British Council.
MOSCOU ACCUSE LONDRES DE POUSSER L’UE À LA CONFRONTATION
La Russie a accusé vendredi le Royaume-Uni de pousser ses alliés européens à la confrontation avec les Russes, après la décision de l’UE de rappeler son ambassadeur à Moscou en signe de soutien à Londres dans l’affaire de l’empoisonnement d’un ex-espion russe.
L’empoisonnement de l’ex-agent double russe Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia, le 4 mars, à Salisbury en Grande-Bretagne, a provoqué une grave crise diplomatique entre Moscou et Londres et détérioré des relations déjà tendues, après que la Première ministre britannique Theresa May ait affirmé que la Russie était « très probablement » derrière l’attaque.
Réunis jeudi à Bruxelles pour un sommet, les dirigeants de l’Union européenne sont tombés d’accord « pour considérer, avec le gouvernement britannique, que la Russie est très probablement derrière l’attaque de Salisbury et qu’il n’y a pas d’autre explication possible », a annoncé jeudi soir le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk.
Dans la foulée, l’UE a décidé de rappeler son ambassadeur en Russie pour « consultations », une décision dénoncée vendredi avec véhémence par Moscou, qui clame son innocence depuis le début de l’affaire.
« Nous regrettons qu’une nouvelle fois on prenne de telles décisions en utilisant la formulation +très probablement+ », a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, en déplorant que la Russie « ne puisse toujours pas obtenir des informations » de Londres sur cette affaire.
Cap vers la crise
Les autorités britanniques « cherchent fiévreusement à forcer leurs alliés à prendre des mesures visant à la confrontation » avec Moscou, a accusé pour sa part le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, en visite à Hanoï et cité par l’agence publique russe RIA Novosti.
Pour M. Lavrov, Londres a pris « le cap pour rendre la crise avec la Russie la plus profonde possible ».
« L’incident de Salisbury s’inscrit dans le cadre des attaques menées par la Russie contre l’Europe », a déclaré jeudi Theresa May à son arrivée à Bruxelles. « La menace russe ne respecte pas les frontières », a-t-elle affirmé.
Dans leur déclaration commune, les 28 ont affirmé que l’implication de la Russie est la « seule explication plausible » pour l’attaque chimique de Salisbury, affichant leur soutien unanime à la Grande-Bretagne.
Ayant désigné Moscou comme responsable de l’empoisonnement de Sergueï Skripal, Londres a déjà expulsé 23 diplomates russes, qui ont quitté mardi son territoire, et annoncé le gel des relations bilatérales.
La Russie a ordonné en représailles l’expulsion de diplomates britanniques, qui ont commencé à quitter Moscou vendredi, selon les agences de presse russes.
Sur fond de ces expulsions réciproques, certains dirigeants européens envisagent aussi d’expulser des diplomates russes ou de rappeler leur ambassadeur, a affirmé jeudi à l’AFP un responsable européen.
Nouvelle campagne antirusse
La présidente lituanienne Dalia Grybauskaité a ainsi publiquement dit réfléchir à une telle expulsion.
La France s’est également déclarée prête à « de possibles mesures, décidées sur une base nationale, en concertation avec d’autres pays européens », selon l’Elysée.
« Nous sommes déterminés à réagir de manière unie, par la parole, et le cas échéant par de nouvelles mesures, a pour sa part commenté Angela Merkel.
Le ministère russe des Affaires étrangères a réagi en appelant l’UE à « encourager plutôt ses partenaires britanniques à entamer des consultations constructives » avec la Russie, et réitéré sa volonté de coopérer avec Londres dans le cadre de cette affaire.
« Nous regrettons que l’UE ait préféré suivre le cours d’une nouvelle campagne antirusse lancée par Londres », a indiqué le ministère dans un communiqué.
« Tout cela n’est qu’une provocation », a jugé Sergueï Lavrov, alors que la Russie regrette de n’avoir toujours pas accès à la citoyenne russe Ioulia Skripal, hospitalisée avec son père « dans un état critique mais stable » selon Londres, ni aux échantillons de la substance utilisée selon les autorités britanniques pour leur empoisonnement.
« La Russie n’a absolument rien à voir avec l’affaire Skripal », a à nouveau insisté vendredi Dmitri Peskov.
[Afp]