samedi , 7 novembre 2020
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Ali Bongo Ondimba
Cérémonie de prestation de serment d'Ali Bongo Ondimba

Gabon : Ali BONGO a volé la victoire électorale de Jean PING

Au second tour de l’élection présidentielle du 20 mars 2016 au Benin, les résultats officiels n’étaient pas encore publiés quand Lionel Zinsou, premier ministre et candidat soutenu par le président sortant, avait reconnu sa défaite, allant jusqu’à appeler son adversaire, l’homme d’affaires Patrice Talon, pour le féliciter. Les résultats provisoires faisaient apparaitre alors une victoire très nette de ce dernier. On connait la suite. Une alternance pacifique réussie au sommet de l’Etat. La quatrième depuis la fin des années 80. Là où le Congo-Kinshasa, par exemple, n’en compte pas une seule depuis l’indépendance en 1960.

Le 27 août 2016 au Gabon, on se serait attendu au même scénario à l’issue de l’élection présidentielle à un tour. Car, les résultats provisoires indiquaient une très nette défaite du président sortant Ali Bongo Ondimba. Mais, depuis cinq décennies, réseaux France-Afrique obligent, le Gabon est un fromage que tient en son bec le clan Bongo. Par ailleurs, Ali Bongo est un faussaire récidiviste. En 2009, pour être candidat à l’élection présidentielle conformément à l’article 10 de la Constitution, il avait arboré un faux certificat de naissance délivré par une mairie de Libreville. En 2016, son dossier de candidature contenait un nouvel acte de naissance, diffèrent mais tout aussi faux que le premier, en l’occurrence un extrait de registre de l’état civil de la mairie de Brazzaville de 1959.

Tricherie planifiée et grossière

L’annonce des résultats définitifs était attendue le 30 août. Mais elle interviendra le lendemain soir. Le temps pour la Commission nationale électorale autonome et permanente (CENAP) de fabriquer la victoire d’Ali Bongo contrairement au verdict des urnes. Mais la stratégie du tripatouillage était en marche bien avant. Confiant de gagner facilement une élection à un tour en s’appuyant sur tous les moyens de l’Etat en sa qualité de président sortant et cela face à une pléthore de candidats, Ali Bongo avait invité plus de 120 observateurs internationaux dont plus de 60 observateurs de l’Union Européenne (UE), déployés dans les neuf provinces du pays, 42 de l’Union Africaine (UA), 20 de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et bien d’autres représentant l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et l’ONG américaine National Democratic Institut (NDI). Cependant, ils n’ont été autorisés à assister aux annonces publiques des résultats provinciaux que dans sept des neuf provinces. Parmi les deux provinces où les résultats leur étaient cachés figure justement celle à l’origine du contentieux ou du scandale de trop, le Haut-Ogooué, fief ethnique du clan Bongo.

Comme pour ses deux actes de naissance différents dont la fausseté était chaque fois manifeste, la tricherie mise au point se révèle être aussi évidente que grossière pour deux autres raisons. D’abord, le taux de participation de 99,93% dans le Haut-Ogooué est nettement supérieur à ceux enregistrés dans les autres provinces, estimés en moyenne à 48%. Cela est inimaginable surtout quand on sait que l’élection n’est pas obligatoire au Gabon et qu’en plus, depuis la mort d’Omar Bongo, son clan se déchire publiquement. A titre d’exemple, le 20 août 2016, le candidat à l’élection présidentielle Léon-Paul Ngoulakia, cousin d’Ali Bongo et ancien chef des services de renseignement, s’est désisté en faveur de Jean Ping. Ensuite, l’abstention observée dans une des quinze commissions électorales locales du Haut-Ogooué est à elle seule supérieure à l’abstention déclarée par la CENAP pour l’ensemble de cette province.

Difficile décision du vainqueur floué

La crise post-électorale est née aussitôt qu’Ali Bongo fut officiellement déclaré vainqueur avec 49,80% sur l’ensemble des neuf provinces, contre 48,23% pour son rival Jean Ping. Pour en sortir, le vainqueur floué a réclamé le recompte des voix par la CENAP ; ce à quoi la France, les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) lui ont répondu en écho, exigeant chacun à son tour la publication, par la CENAP, des résultats bureau de vote par bureau de vote dans l’ensemble du pays. Ironie du sort, Bongo le tricheur récidiviste leur a brandi le respect de la loi, car au Gabon une telle publication est du ressort de la Cour constitutionnelle (CC).

Les réticences de Jean Ping et son entourage à saisir la CC se comprennent quand on sait que l’humour noir gabonais a surnommé celle-ci “la Tour de Pise” en raison de sa propension à pencher du côté du pouvoir en place ou du clan Bongo. En 2009, par exemple, alors que la tricherie était aussi manifeste et grossière qu’aujourd’hui, cette institution avait rejeté les 11 requêtes en annulation soumises par un autre opposant, André Mba Obame. Par ailleurs, depuis 25 ans et contrairement au prescrit de la Constitution, la CC est présidée par Marie-Madeleine Mborantsuo, alias “3M”, une ancienne “Miss Franceville”, le chef-lieu de la fameuse province du Haut-Ogooué. Cette juriste bardée de diplômes doit son statut non seulement à ses origines mais aussi pour avoir été l’une des innombrables maîtresses du président fécondateur Omar Bongo à qui elle a donné 2 de ses 54 enfants reconnus.

Le recours in extremis de Jean Ping à la CC est avant tout le résultat de l’insistante pression de la France, Etats-Unis et Union européenne (UE) qui se sont retrouvés le dos contre le mur quand Ali Bongo a joué la carte du légalisme. Pour espérer un dénouement heureux qui jetterait le tricheur sur le chemin de l’exil, il reste à espérer que les pressions de la troïka ci-dessus soient suffisamment fortes sur “3M”et les autres huit juges de la plus haute juridiction du pays. Car, seules les pressions et les menaces occidentales peuvent redresser institutionnellement “la Tour de Pise”.

Leçons à tirer

Plusieurs leçons peuvent être tirées du scrutin et de l’imbroglio gabonais au regard de la désillusion quasi généralisée du deuxième processus de démocratisation de l’Afrique subsaharienne. Qu’il nous soit permis d’en retenir quatre dans le cadre de cette analyse.

Bien avant le Congo-Kinshasa, le Gabon a institué l’élection présidentielle à un seul tour. Il s’agit-là d’un calcul politique qui ne sert aucun intérêt national. Comme les élections présidentielles ne sont jamais justes en Afrique et qu’il y a généralement une pléthore de candidats, le tour unique fait du président sortant le favori du scrutin parce que contrairement à ses adversaires, il peut s’appuyer sur tous les moyens de l’Etat pour battre campagne. A cet égard, les candidats à l’élection présidentielle gabonaise ont été bien inspirés en œuvrant en pour une candidature unique de l’opposition. En effet, sur les 14 candidats retenus par la CENAP le 15 juillet 2016, ceux qui comptaient réellement dans le rang de l’opposition s’étaient désistés en faveur de Jean Ping. Il ne restait plus que 8 rigolos qui ont chacun obtenu 0% et des poussières. La candidature unique a permis à Jean Ping de battre Ali Bongo.

Les pressions de la troïka France, USA et UE sont applaudies des deux mains presque partout en Afrique subsaharienne. Mais on ne peut pas construire un système politique en comptant sur la vigilance des dirigeants occidentaux tant il est vrai que celle-ci a toujours été à géométrie variable à travers le monde et le temps. Pour preuve, en 2009, la même troïka n’avait pas exercé la moindre pression sur Ali Bongo alors que sa tricherie était aussi manifeste et grossière qu’aujourd’hui. Ailleurs en Côte d’Ivoire, les décideurs occidentaux n’avaient pas eu recours au langage diplomatique pour condamner le “vol” de la victoire électorale par Laurent Gbagbo. Ils avaient sorti l’artillerie lourde pour introniser le “vainqueur” pendant que Laurent Gbagbo exigeait ce qu’ils exigent aujourd’hui au Gabon, à savoir le recompte des voix. Aucun vice n’est beau, mais le plus laid de tous est la politique de deux poids deux mesures. L’Occident excelle malheureusement dans ce domaine.

Sur les 120 observateurs internationaux invités à faire le monitoring du processus électoral au Gabon, 42 provenaient de l’Union Africaine (UA). Pendant que leurs homologues de l’Union Européenne (UE) crient au scandale, les observateurs de l’UA se taisent dans toutes les langues. Il n’y a pas meilleure preuve de l’inutilité de l’UA pour les peuples africains. Il faudrait que des pays démocratiques ayant vécu plusieurs alternances pacifiques quittent cette organisation pour en créer une autre dans laquelle n’entreraient que des pays partageant les mêmes valeurs. Car, de sa création à ce jour, l’UA est un panier de crabes sans esprit d’équipe, sauf du mauvais esprit, celui de nuisance envers les peuples, caché sous une façade de bonne entente incapable de rendre aux Africains leur dignité perdue depuis des siècles.

La dernière leçon qu’on pourrait tirer du scrutin et de l’imbroglio gabonais est qu’en Afrique comme ailleurs à travers le monde, le pouvoir se doit d’être cohérent. On ne peut pas organiser des élections transparentes quand les lois du pays interdisent au pouvoir organisateur, la CENAP dans le cas qui nous intéresse, de publier les résultats bureau de vote par bureau de vote dans l’ensemble du pays. On ne peut pas non plus saisir la CC de son pays pour qu’elle se prononce sur un contentieux électoral quand celle-ci est déjà surnommée “la Tour de Pise”. Le QG d’un candidat à l’élection présidentielle ne peut pas espérer être protégé par la police et l’armée nationales, ce qui est son droit constitutionnel, quand celle-ci est aux ordres du roi du jour. De même que pour les institutions organisatrices des élections et les arbitres ultimes que sont les CC, les Etats d’Afrique subsaharienne ont encore un long chemin à parcourir pour que les forces de sécurité et de défense soient apolitiques.

Conclusion

Au regard de ce qui précède, on ne se lassera jamais de paraphraser Montesquieu (1689-1755), ce penseur politique, philosophe et écrivain français du siècle des Lumières à l’origine des démocraties occidentales que les Africains admirent et envient tant. Pour que les présidents africains ne puissent abuser du pouvoir, comme vient de le faire Ali Bongo en volant la victoire électorale de son rival Jean Ping, en lançant les forces de sécurité voire des mercenaires à l’assaut de son QG et en massacrant ses partisans descendus dans la rue pour réclamer leur droit, “il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir”. Faut-il souligner que la bonne disposition des choses ne tombe pas du ciel, qu’elle ne s’importe de nulle part, mais qu’elle se créé en partant du fonctionnement propre à chaque communauté nationale et qu’elle s’adapte continuellement à l’évolution de celle-ci ? When will we ever learn ?

[Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo]

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